Chronique

Une femme d’exception

Françoise David quitte la politique à une époque où, plus que jamais, on y a besoin de femmes inspirantes comme elle.

Loin de moi l’idée de lui en faire le reproche. Comme de nombreux citoyens et politiciens, toutes allégeances confondues, j’ai plutôt envie de lui dire merci pour sa contribution exceptionnelle à la vie politique, sa façon exemplaire de rehausser le débat, la profondeur de sa réflexion et son engagement indéfectible pour la justice sociale.

Si elle avait pu, elle aurait continué. Mais à 69 ans, sa santé ne lui permettait plus de suivre le rythme effréné qu’impose l’engagement politique. C’est tout à son honneur d’avoir eu la sincérité de l’admettre et la sagesse de s’arrêter.

Depuis l’automne, la cofondatrice de Québec solidaire ressentait une fatigue qui ne la quittait plus. Elle attrapait tous les virus qui passaient. Elle se levait fatiguée. Elle se couchait épuisée. Elle supportait de moins en moins le stress. Après des journées de travail d’au moins 12 heures, elle avait mille choses en tête. Les courriels, les textos, les téléphones, les communiqués à corriger, les appels à l’aide de citoyens, les commissions parlementaires, les points de presse, le tourbillon médiatique…

Depuis 2012, année où Françoise David a fait son entrée à l’Assemblée nationale, elle a vu les choses s’accélérer jusqu’à lui en donner le tournis. « Les exigences médiatiques sont énormes à la fois pour les journalistes, à mon humble avis, et pour nous, confiait-elle hier, après son point de presse. Il faut nourrir la bête. La place imposante des médias sociaux demande de nourrir cette bête-là tout le temps. Ça finit par nous demander d’être tout le temps présent, de prendre position sur trois millions de choses. »

Ces derniers temps, elle ne se sentait plus la force de continuer dans ce monde « complexe, difficile et agressif » qu’est l’Assemblée nationale.

« La période de questions, pour moi, c’est une institution patriarcale. C’est exagérément agressif. C’est viril. Il y a un côté “Et je te plante ! Et je suis content !”. C’est tout le temps les calculs stratégiques, pourvu qu’on plante un tel pour arriver à performer. »

— Françoise David

Au fil des ans, on s’en est rarement pris à elle. « J’ai été plutôt gâtée. N’empêche que ça finit par introduire une atmosphère pesante. »

Tous doivent jouer le jeu. C’est à qui aura la meilleure place dans les médias. Pour le meilleur et pour le pire. « C’est sûr qu’avec un caractère tellement partisan, ça finit par déraper. » Elle espère qu’une nouvelle génération de femmes et d’hommes féministes parviendra à faire changer cette culture politique.

Elle part avec le sentiment du devoir accompli, en ayant confiance en l’avenir, optimiste malgré tout. La montée de l’intolérance et l’instrumentalisation du débat identitaire l’inquiètent particulièrement. Mais l’engagement de jeunes gens allumés et de nombreuses féministes sans complexe lui donne espoir pour la suite des choses. « Elle est là, la relève, je la vois. J’y crois », dit-elle, en faisant notamment référence au mouvement Faut qu’on se parle.

***

Fin novembre, la porte-parole parlementaire de Québec solidaire est partie aux Îles-de-la-Madeleine, où vivent son fils et sa belle-fille, qui s’apprêtait à accoucher. « J’ai assisté à l’accouchement, ce qui est une des plus belles choses de ma vie. Je me suis reposée beaucoup. »

Cela faisait un petit moment qu’elle réfléchissait à son avenir politique. Elle en avait discuté avec son médecin, son amoureux, son fils, son meilleur ami… Elle ne voulait pas décevoir les gens. Mais là, dans le calme de la maison où sa petite-fille venait de naître, la décision qui s’imposait ne lui avait jamais semblé aussi claire. Elle ne s’ennuyait pas du tout de l’Assemblée nationale. Elle avait l’impression de se retrouver. De retrouver la forme, de retrouver le moral.

« J’arrivais d’un milieu qui était de plus en plus pénible. Je me retrouvais dans un milieu où on est tous en train de parler de tendresse, d’amour, de bébé… Et j’étais tellement bien. »

— Françoise David

Elle s’est dit : « C’est peut-être la vie qui est en train de me montrer le chemin. »

De retour à Montréal, elle a dit à ses collègues de Québec solidaire : « C’est terminé. » Elle sentait que si elle continuait, elle allait s’en rendre malade. L’épuisement professionnel la guettait. Elle était déjà passée par là en 1983, alors qu’elle était une jeune mère débordée. Son fils avait 3 ans. Elle venait de vivre une séparation. Elle travaillait beaucoup et militait en même temps. « J’ai craqué. Je n’ai rien vu venir. À l’époque, on ne connaissait pas ça. » Il lui a fallu un an pour se remettre sur pied. « Alors non, je ne jouerai pas dans ce film. Pas deux fois. »

Bien qu’elle ait renoncé à l’allocation de transition prévue dans certains cas pour des députés démissionnaires (comme elle part à la retraite, elle estime qu’elle n’y a pas droit), elle craignait que les gens lui en veuillent de partir avant la fin de son mandat. « C’était ma hantise. » Son entourage se faisait rassurant. « Voyons, Françoise, les gens vont comprendre ! »

Hier, elle était soulagée de voir que son entourage avait eu raison. « Je suis vraiment reconnaissante », a-t-elle dit, émue.

Plus émus encore étaient les citoyens qui la voient partir à regret. Pendant qu’elle rencontrait les journalistes un à un, un homme est entré dans le local de sa circonscription pour lui laisser un bouquet de roses. Des centaines de citoyens lui ont rendu hommage sur sa page Facebook, louant son intégrité et son engagement. « Bonne retraite ! » « Merci pour tout ! » « Vous êtes une source d’inspiration ! » « Vous êtes l’exemple que je donne à ma fille quand je veux lui montrer qu’il est possible de s’engager, comme femme, en gagnant le respect de tous, sans piler sur les autres pour élever sa voix et la faire entendre. »

Heureusement pour nous, même si elle quitte la vie politique, Françoise David promet de ne pas se taire. « Ce serait un peu au-dessus de mes forces ! »

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