Chronique

Au-delà de la cassette de la Charte

C’est à reculons que j’ai abordé le film La Charte des distractions. Après des mois de discussions publiques sur la Charte de la laïcité du PQ, n’avons-nous pas atteint un point de saturation ? Tout n’a-t-il pas été dit sur le projet de loi 60 ?

Quand je vois défiler les nouvelles sur le sujet, c’est Louis-Jean Cormier que j’entends. « Toujours la même cassette/Les clichés se répètent/Et la parole s’émiette/Des cordes de langues de bois… »

Malgré mon hésitation du départ, j’ai finalement beaucoup apprécié La Charte des distractions. Car même s’il traite d’un sujet usé à la corde, le film permet justement d’éjecter la cassette usée en élargissant le débat et en donnant la parole à des gens que l’on a peu entendus jusqu’à présent. Des gens d’horizons divers qui posent un regard critique sur le projet de loi 60, réfléchissent sous divers angles à la complexité des enjeux et montrent en quoi la Charte nous distrait de ces enjeux.

Un film objectif ? Non, pas du tout. Il ne prétend surtout pas l’être. Le film est une prise de position et non un reportage objectif qui donnerait la parole aux deux camps. Il a été réalisé dans l’urgence par trois médias indépendants (Les Alter Citoyens, GAPPA et 99 %Media). Une campagne de sociofinancement, où seuls les dons individuels étaient acceptés, a permis de recueillir les 2500 $ nécessaires pour mener à terme le projet.

Le but ? Contribuer au débat en faisant contrepoids aux discours officiels. Après la première qui a lieu aujourd’hui, les artisans du film souhaitent que des espaces de discussion soient créés autour d’autres projections publiques.

Ce qui fait la valeur du film, c’est la pertinence des voix qu’on y entend. La voix indignée de Widia Larivière, par exemple, militante féministe autochtone du mouvement Idle No More qui voit dans le projet de Charte un « déni des peuples autochtones ». « On parle de valeurs communes québécoises. Alors que les peuples autochtones, ça fait des millénaires qu’on habite le territoire et on ne nous a jamais demandé notre avis sur la Charte. On ne nous a jamais demandé quelles valeurs étaient importantes pour nous. »

Le film nous fait aussi entendre la voix apaisante et pleine de sagesse de la psychiatre Cécile Rousseau, qui travaille auprès d’enfants immigrants et réfugiés dans des quartiers pluriethniques de Montréal. Il en est des relations intercommunautaires comme des relations de couple, souligne-t-elle avec inquiétude. « C’est fragile. On ne peut pas tabler sur le fait qu’une relation de couple a été bonne pour dire qu’elle durera toujours. »

Du moment où l'on dit des mots qu’il ne fallait pas dire, tout déboule. La colère et le rejet des uns suscitent la colère et le rejet des autres. Comment, après tout ça, reconstruire un vivre-ensemble ? Pour y arriver, il faut entendre les peurs bien réelles de la majorité, dit la Dre Rousseau.

Parmi les autres voix pertinentes qu’on gagnerait à entendre davantage dans ce débat, il y a celle de Ryoa Chung, professeure de philosophie à l’Université de Montréal et coauteure du Manifeste pour un Québec inclusif.

On la voit bondir en entendant le ministre Drainville dire à une citoyenne inquiète d'une prétendue « islamisation » de Montréal que « l’islamisation, effectivement, c’est une réalité et ça nous préoccupe ». Ah bon ? « Où sont les faits pour étayer une telle hypothèse lourde de conséquences politiques ? », demande Ryoa Chung. Entendre les peurs, d’accord. De là à donner son aval aux théories non fondées d’invasions barbares, il y a un pas.

À la fin du film, Ryoa Chung raconte qu’elle fait partie de cette génération qui a voté Oui au dernier référendum. Elle a mis des années à se remettre de la phrase malheureuse de Parizeau attribuant sa défaite à « l’argent et des votes ethniques ». Selon elle, le projet de Bernard Drainville risque tout autant « de refroidir les sympathies naturelles que toute une génération de Néo-Québécois aurait pu avoir face au projet d’un Québec indépendant ».

Son point de vue illustre bien cette fracture générationnelle que le débat sur la Charte a accentuée. Sondage après sondage, c’est chez les jeunes que l’appui au projet de loi 60 est le plus faible. La plupart ne semblent plus se reconnaître dans les « valeurs » mises de l’avant par le PQ. Ils ne se reconnaissent pas dans son nationalisme conservateur.

« Si vous considérez que certains citoyens québécois sont moins québécois que d’autres, je ne veux pas participer à cet idéal d’un Québec souverain, dit Ryoa Chung. Ce n’est pas l’image que je me faisais d’un Québec souverain, confiant, serein et fier de l’être. »

Voilà un constat qui devrait donner matière à réflexion aux stratèges péquistes.

* La première du documentaire La Charte des distractions a lieu aujourd’hui (samedi) à 12 h au Cinéma du Parc (3575, avenue du Parc, Montréal). La projection sera suivie d’une discussion avec les participants du film.

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