DOUANES CANADIENNES

Non grata au Canada !

Kyriakos Pnevmonidis s’en souvient comme si c’était hier. Un voyageur africain débarquait de l’avion et, par acquit de conscience, le jeune douanier avait fouillé ses bagages. Bonne intuition, visiblement. Car l’agent avait découvert dans la valise un petit macaque frit (!) caché entre une bobette et un boubou.

« J’ai fait le saut. C’était un bébé !», raconte M. Pnevmonidis avec un frisson d’horreur dans le regard.

Cette histoire remonte a une quinzaine d’années. Kyriakos Pnevmonidis est aujourd’hui surintendant des opérations aux voyageurs de l’ASFC (Agence des services frontaliers du Canada). Mais les choses n’ont pas beaucoup changé. Aux dernières nouvelles, le macaque, frit ou non, fait toujours partie des produits interdits au Canada.

Ce n’est pas le seul.

SITUATIONS DÉSAGRÉABLES

Soumises à des lois multiples, émanant de ministères aussi variés que les Transports, l’Environnement ou de l’Agence d’inspection des aliments, les douanes canadiennes confisquent régulièrement toutes sortes d’objets, pour toutes sortes de raisons, qui vont de l’hygiène au potentiel de contamination, à l’illégalité pure et simple.

Cela peut donner lieu à des situations désagréables et Dieu sait qu’à ce chapitre, les douaniers canadiens n’ont pas bonne réputation. C’est particulièrement vrai avec la nourriture, véritable bête noire des agents des services frontaliers.

Dans les années 90, une tante de votre serviteur, assez âgée, avait été obligée de déplier toutes ses petites culottes devant un douanier la soupçonnant de vouloir introduire en douce une barge de camembert au lait cru. On ne vous dit pas l’humiliation. Plus récemment, une amie s’est fait vertement sermonner par un agent, parce qu’elle amenait au pays une pomme achetée en Europe (voir témoignages). Sans parler de cette connaissance, qui s’était fait confisquer tout son cassoulet fait maison, la privant ainsi d’un cadeau destiné à ses hôtes.

Pour la viande, les lois sont strictes. Tout ce qui n’est pas en conserve est interdit d’entrée. Votre foie gras, par exemple, sera confisqué s’il est de fabrication artisanale. Par contre, vous pouvez en amener tant que vous voulez s’il est emballé selon les normes industrielles.

Pour les produits laitiers en revanche, les règlements se sont assouplis.

Longtemps diabolisé, le fromage au lait cru est désormais autorisé, comme d’ailleurs la plupart des « fromages qui puent ». Rare exception, le fromage italien Caccio caballo est toujours interdit, parce qu’il recèle une noix de beurre non pasteurisée. « Dans ce cas, explique Kyriakos Pnevmonidis, c’est le beurre qui est interdit, et non le fromage. »

Selon une croyance généralement répandue, les agents des douanes se paieraient de sacrés bons repas avec la nourriture et les alcools saisis. M. Pnevmonidis s’empresse de démentir. Tout ce qui est confisqué est jeté illico dans la « poubelle internationale » située à côté des points de contrôle. Pour être bien sûr que personne ne dégustera la marchandise saisie, on diffusera sur les produits végétaux et animaux du Birkolene B, contenant du poison, qui rendra la chose immangeable.

ZÉROS OU HÉROS ?

Les plantes et le bois sont aussi soumis à des contrôles très serrés. Si vous n’avez pas de documents phytosanitaires émanant du pays d’origine, et certifiant que votre objet a été traité contre les insectes, vous risquez fort de devoir l’abandonner à la frontière.

Passe encore quand il s’agit d’une pousse de palmier, mais ce règlement ultra-strict peut obliger des immigrants ou des voyageurs à laisser derrière eux des choses aussi signifiantes que des instruments de musique ou des bols en bois ayant appartenu à une grand-mère bien aimée. Il sera toujours possible de récupérer l’objet en question, moyennant une fumigation - aux frais du propriétaire -, un traitement dont le prix s’élève de 200 à 300 $.

Pourquoi tout cet acharnement ? Le danger des bibittes, bien sûr, qui peuvent se propager une fois entrées clandestinement. « On est devenus très sévères depuis l’argile du frêne, un insecte qui s’est introduit dans des palettes de bois non traitées, et qui a fait beaucoup de dommage dans les années 2000 », explique M. Pnevmonidis. Des millions d’arbres auraient ainsi été ravagés depuis 10 ans, notamment dans le sud-ouest de l’Ontario et quelques États américains.

Pour l’agent, voilà la preuve que le proverbial zèle des douaniers canadiens est parfois justifié. « On nous surnomme la police de la saucisse. Mais on est plus que ça, lance M. Pnevmonidis. On travaille pour la protection d’un pays et de son économie. On peut prévenir des pertes énormes dans notre écosystème. »

Des héros, les douaniers ? Tout dépend du point de vue. Mais quand vient le temps d’appliquer les lois de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction), les agents de l’ASFC peuvent effectivement se transformer en sauveurs.

Beaucoup d’animaux au statut précaire sont en effet introduits illégalement au pays... On ne parle pas seulement du macaque frit, mais aussi de bêtes vivantes, destinées au réseau nord-américain des animaleries illégales.

M. Pnevmonidis cite entre autres les perroquets en voie d’extinction, qui sont dissimulés vivants dans des tubes à poster, question de tromper la vigilance des douaniers. On pense aussi à ces nombreux serpents rares, cachés dans des écrins à bijoux, qui ont fait l’objet de certains reportages.

Le douanier se souvient enfin d’un voyageur qui avait voulu entrer par effraction avec un canari. Il n’avait pas déclaré l’animal mais s’était présenté aux agents avec la cage bien en évidence. Interpellé par les agents, l’homme avait tenté de s’enfuir dans l’aéroport... avec la cage et l’oiseau !

Ce refus de coopérer lui avait valu des charges criminelles et la confiscation de l’animal.

Qu’est-il arrivé à la pauvre petite bête ? « J’imagine qu’elle a été euthanasiée », murmure M. Pnevmonidis, l’air penaud.

Impitoyable Canada…

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