Chronique

Gab Roy et la « transgression »

Il y a une différence entre l’audace et l’incontinence verbale, mais on dirait que Gab Roy la cherche encore.

Le blogueur-humoriste est poursuivi à hauteur de 300 000 $ par la comédienne Mariloup Wolfe. Il a récemment écrit une sorte de lettre ouverte à l’artiste où il lui propose ses services sexuels. La lettre de Roy consiste essentiellement à exposer ses fantasmes sur un ton qui se veut très « wild ».

Le gars ferait ça sur un mur, imaginez-vous. Oui madame. Cochon de même. Il y aurait des doigts d’impliqués. Et des gros mots en plus. On voit que le gars a lu tout le marquis de Sade, mais vite.

L’exposition satisfaite de son imagination pornographique sur le Net est évidemment autorisée et on en trouve en masse, gratis à part ça.

La plaquer sur une vraie personne qui ne vous a rien fait, quelle surprise, c’est « aller trop loin ». Pas besoin de lire un traité de droit civil pour comprendre ça.

Faut-il vraiment expliquer pourquoi ? On dirait que oui.

Pourquoi donc ? Parce que c’est une atteinte à l’intégrité. Parce que se faire saisir son corps fictivement, et se voir décrite dans des scènes de cul sans son consentement, c’est une violation de son intimité.

Oui, mais c’est de la fiction ! C’est inventé !

De la fiction… avec un nom, concernant une personne, avec des commentaires sur le père de ses enfants. Ce n’est plus de la fiction. C’est une atteinte faussement fictive à sa vie privée.

Oui, mais c’est de la « transgression » ! Gab Roy explore les nouvelles frontières de l’humour ! Il prend des risques ! Il provoque des malaises pour mettre le public en face de sa part d’inavouable !

C’est plate pour lui, mais il n’y a pas d’immunité ou de catégorie spéciale pour les humoristes autodéclarés transgresseurs.

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Entendons-nous bien. Ce n’est pas un débat sur le bon goût. Il aurait pu écrire exactement la même chose, décrire la même scène.

Comme il avait le droit d’écrire et de lire en spectacle une fausse lettre d’amour d’un pédophile à une de ses victimes. Pour créer un malaise dans le public. Mettons que c’est un genre. Mais un genre que rien n’interdit.

La ligne est franchie quand on blesse sciemment quelqu’un sans aucune justification.

S’il vous plaît, n’allez pas comparer ça à George Carlin ou Eddie Murphy. Ce n’est pas l’utilisation des « gros mots » qui est en cause. C’est tout simplement l’humiliation d’une personne.

Y a-t-il l’ombre d’une portée sociale dans cette lettre à Mariloup Wolfe ? Est-il « allé trop loin » en dénonçant une injustice sociale ? En exposant des puissants au ridicule ?

Pantoute. C’est un truc parfaitement gratuit et narcissique.

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Roy a présenté ses excuses. Tant mieux. Tout le monde a droit à l’erreur, n’est-ce pas ? Sauf que quand on répète la même « erreur » à heure fixe, peut-être que ce n’est plus une erreur.

Peut-être que ça commence à ressembler à un fonds de commerce.

J’ai assez défendu le principe de la liberté d’expression dans cette page, y compris le droit de Dieudonné de faire des spectacles. Il faut en accepter le revers, c’est-à-dire un certain nombre d’excès et de débordements.

Il faut aussi en fixer les limites et les rappeler de temps en temps, sans quoi elle n’a aucune valeur.

Dans le grand déversoir des réseaux sociaux, plein de gens pensent vivre dans une version juvénile et absolutiste de la liberté d’expression.

Il y a encore des règles élémentaires de décence humaine à défendre. Et même des règles de droit. Nathalie Petrowski disait hier que Roy n’est tout de même pas un Luka Magnotta. Sans doute. Je rappelle cependant que certains défendaient le droit d’un site de diffuser sur le Net les images du dépeçage de sa victime. Comme si, justement, pour certains usagers, aucune limite ne tenait sur le web.

Sans limites, c’est une liberté vide de sens qu’on défend. La liberté de transgresser pour le plaisir insignifiant de le faire. La liberté de blesser et d’écraser.

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