Rwanda  20 ans après le génocide

Le « cri du cœur » d’une mère

Pendant le génocide de 1994 au Rwanda, plus de 70 000 enfants ont perdu leur famille. Beaucoup sont orphelins. Mais nombre d’entre eux, même s’ils ne le savent pas, ont des proches vivants. Une mère consacre sa vie à réunir des familles, en espérant un jour réunir la sienne.

BRUXELLES — Dans le respect de la tradition rwandaise, les amis de Béatrice Mukamulindwa l’appellent toujours Maman Pitchou. Pourtant, elle n’a pas vu son fils aîné, Alain-Flavien « Pitchou » Mudacumura, depuis près de 20 ans.

La dernière fois, c’était le 28 mars 1994. Les vacances de Pâques débutent alors au Rwanda. Béatrice Mukamulindwa, femme d’affaires tutsie, part voir son mari en Belgique. Elle laisse ses trois enfants – Alain-Flavien, 12 ans, Aline, 10 ans, et Nadège, 9 ans – chez son frère dans le sud du pays.

Une semaine plus tard, le 6 avril, le président rwandais meurt quand son avion est abattu. Les massacres des Tutsis et des Hutus modérés débutent le lendemain ; le pays bascule.

« Nous avons essayé de téléphoner sur les lignes fixes ici et là pour voir si quelqu’un pouvait aller les voir et nous donner de leurs nouvelles », raconte Béatrice Mukamulindwa. Mais les téléphones ne fonctionnent pas.

Les parents doivent attendre la fin de la guerre, en juillet 1994. Le père des enfants s’envole pour Kigali, la capitale. La ville et le pays sont dévastés ; environ 800 000 personnes ont été tuées et plus de 2 millions ont fui. Il y retrouve son neveu de 18 mois et rentre en Belgique. Sa belle-sœur est morte ; ses enfants et leur oncle ont disparu sans traces.

« JE NE PENSE À RIEN D’AUTRE »

Béatrice Mukamulindwa ne ménage pas les efforts pour les trouver, mais sans succès. Son entêtement, selon elle, brise son mariage. Elle parcourt des milliers de kilomètres, jusqu’au Congo-Brazzaville, même jusqu’à Montréal, pour parler à des personnes qui disent avoir vu son fils. Déception. « Les enfants n’étaient pas les miens. »

« Même quand je dors, je ne pense à rien d’autre », dit-elle, une larme à l’œil. Elle détient une maîtrise en gestion mais ne travaille plus – ses recherches sont un travail à temps plein. Elle vit seule dans un appartement modeste de Louvain-la-Neuve, ville universitaire à une heure de Bruxelles. L’argent manque, mais les recherches continuent.

C’est en 2011 que sa quête se transforme en vocation. Elle retourne à Kigali, rechercher d’autres parents dans la même situation qu’elle.

« Au début, j’avais peur que les gens me prennent pour une folle », se souvient-elle. Or, elle trouve des dizaines de mères qui recherchent toujours leurs enfants, et interviewe de nombreux adolescents qui ont retrouvé leur famille après des années d’errance.

Avec six autres mères, elle fonde une organisation à but non lucratif, « Cri de cœur d’une mère qui espère ». L’organisation est enregistrée au Rwanda le 22 janvier, jour de l’anniversaire de Nadège, sa fille cadette.

Les mères ont parlé à la radio rwandaise et même réalisé un court documentaire sur leur lutte. « On veut mettre fin à l’étape de la sensibilisation et commencer à enregistrer des cas », dit la fondatrice. Leur travail commence dans l’ouest du Rwanda, loin de l’endroit où Alain, Aline et Nadège ont disparu. « Ce n’est plus simplement à propos de mes enfants. »

NE PAS PERDRE ESPOIR

Les mères veulent aussi chercher ailleurs. « Après la guerre, il y avait beaucoup d’adoptions au Canada et en Italie, souligne Béatrice Mukamulindwa. Des fois, il y avait des adoptions sauvages, et les enfants ont disparu sans laisser de traces. »

« J’espère que ces gens se manifesteront. Même si les enfants décident de rester où ils sont, peut-être qu’il y a une mère, un frère, une tante qui les cherche. Chaque fois que les mères perdent espoir, elles apprennent qu’un autre jeune a retrouvé sa famille.

« En 2010, j’ai reçu un SMS d’un ami selon lequel une dame venait de retrouver sa nièce… La fille était au Rwanda, en vie, dans un orphelinat, 16 ans après le génocide. »

Elle espère toujours retrouver sa propre famille. « Une autre rescapée m’a dit que mes enfants sont arrivés à Mbogu [en République démocratique du Congo]. Il y a énormément d’enfants qui ont été sauvés là-bas. Peut-être qu’ils sont dans une fosse commune, mais tant que je n’aurai pas tout fait, je continuerai à chercher. À espérer. »

Visitez le site de l’organisation de Béatrice Mukamulindwa : http://ccmes.org/fra

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