Lutte contre le tabagisme

Défense de fumer… chez vous

Vous êtes locataire d’un immeuble qui compte plusieurs logements et vous êtes fumeur. À l’intérieur des délais légaux, votre propriétaire vous informe d’une modification au bail : il vous est désormais interdit de fumer… dans votre propre logement. Question : est-ce légal ? Réponse : probablement.

La chasse à la cigarette dans les logements privés, c’est « la dernière frontière » de la lutte antitabac, souligne François Damphousse, de l’Association pour les droits des non-fumeurs.

Avec le durcissement des lois antitabac, la majorité des appels que reçoit le groupe de M. Damphousse émane désormais de locataires incommodés par la fumée secondaire de leurs voisins.

Un non-fumeur sur deux considère que la fumée de tabac qui s’infiltre dans son domicile constitue une nuisance, montre un sondage auprès de 1000 répondants qui habitent dans des immeubles à logements multiples, réalisé par la firme Ipsos pour le compte de l’association. Un foyer sur quatre situé dans de tels immeubles compte au moins un fumeur.

François Damphousse a donc demandé la mise à jour d’un avis juridique au cabinet Fasken Martineau qui datait de 2009, afin de voir quels sont les droits des propriétaires et des locataires incommodés.

Un inconvénient majeur

Et les conclusions de l’avocate Karine Fournier sont claires. Oui, il est possible pour un propriétaire d’interdire à un nouveau locataire de fumer dans son logement. Le propriétaire ne peut pas refuser de louer à un locataire fumeur, mais il a le droit d’exiger que le locataire ne fume pas dans son logement.

« Aucune disposition législative ne prohibe au locateur d’interdire à leurs locataires de fumer dans leur logement. Le bail est un contrat et les parties sont libres d’en négocier les termes », écrit Me Fournier dans l’avis juridique. L’interdiction peut couvrir le logement, « mais aussi toute la propriété du locateur » – le balcon, par exemple.

Dans le cas d’un bail en cours, la situation est un peu plus complexe. Le locataire a le droit de refuser le nouveau règlement, et c’est alors la Régie du logement – ou les tribunaux – qui trancheront la question. Or, la Régie a parfois refusé ce genre de règlements, parce que les régisseurs estimaient qu’il ne respectait pas la vie privée des locataires fumeurs.

Cependant, un jugement de 2008 de la Cour du Québec met du plomb dans l’aile à cette jurisprudence, estime Me Fournier. 

« Le droit du fumeur au respect de sa vie privée est limité par le droit des autres occupants d’un immeuble à jouir paisiblement de leur logement. »

— Le tribunal dans l’affaire Fowler

« Ce jugement est fondamental, acquiesce Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). La démarche s’est faite en cours de bail. Et les propriétaires ont gagné. Mais il faut que le tabac cause un problème réel. Le propriétaire ne peut pas interdire de fumer pour le plaisir de le faire. »

Dans l’éventualité où un locataire ne se conforme pas au règlement, le propriétaire peut demander la résiliation du bail. Dans une décision rendue en 2016, la Régie du logement a accédé à de telles demandes de la part du propriétaire et évincé la locataire. Des locataires qui se sont plaints de leur voisin ont aussi obtenu des baisses de loyer devant la Régie.

« Qu’on parle de fumée de cigarette, de cannabis, de BBQ ou encore de bruit, c’est vu comme une perte de jouissance et cela peut faire l’objet d’une plainte », indique Denis Miron, porte-parole de la Régie du logement. Cependant, il n’est pas automatique que la Régie valide un règlement antitabac. « Ça dépend de la preuve qui est présentée », dit-il.

Et les condos ?

Cette logique antitabac ne vaut pas que pour les locataires, elle s’appliquerait aussi pour les immeubles de condos, estime l’avocate de Fasken Martineau. En 2015, une ordonnance rendue par la Cour supérieure a imposé au propriétaire d’un condo d’arrêter de fumer dans son appartement. Les copropriétaires non fumeurs avaient démontré l’infiltration de la fumée secondaire dans leurs propres appartements.

Guy Labbé a personnellement vécu cette expérience. Dès le lendemain de son déménagement dans un immeuble de condos de Saint-Hyacinthe, à l’été 2015, il a eu une mauvaise surprise. « Dès qu’il y avait de la pression négative, comme une hotte de four, la fumée des voisins montait chez nous », dit-il.

« Ça sentait partout. Les visiteurs qui venaient chez nous, en repartant, leurs vêtements sentaient la cigarette. »

— Guy Labbé

Les copropriétaires de son immeuble ont fini par adopter un règlement qui interdisait de fumer dans les appartements. Le locataire gros fumeur a d’abord embauché un avocat pour contester le nouveau règlement… puis a baissé les bras et a déménagé.

« On a réalisé que ça n’était pas du tout une folie que de demander ça, dit M. Labbé. Et depuis qu’on l’a fait ici, je reçois plusieurs appels de gens qui veulent faire la même chose dans leur immeuble. »

tabac

Ottawa ouvert à interdire le tabac aux moins de 21 ans

La ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, ne ferme pas la porte à la possibilité de faire passer de 18 à 21 ans l’âge minimal national pour l’achat de produits du tabac. Sans aller jusqu’à partager son avis personnel, elle a plaidé qu’il faudra « repousser les limites » pour atteindre l’objectif que s’est fixé le Canada en matière de lutte au tabagisme. Le gouvernement veut faire passer le taux de tabagisme à moins de 5 % d’ici 2035. Ce taux a chuté de 22 à 13 % entre 2001 et 2015, selon les données du fédéral. La ministre a soutenu qu’aucune décision n’a encore été prise concernant l’âge minimum national, une idée contenue dans un rapport de Santé Canada paru la semaine dernière. La ministre québécoise de la Santé publique, Lucie Charlebois, n’était pas disponible pour discuter de l’enjeu, hier.

— La Presse canadienne

Nuisance pour les voisins

Pas moins de 44 % des locataires non fumeurs qui habitent dans des immeubles à logements estiment que la fumée des voisins représente un risque pour leur santé, selon le sondage réalisé par la firme Ipsos pour le compte de l’Association pour les droits des non-fumeurs. Le tiers des répondants avait fait des suggestions pour contrer le phénomène, mais la situation est demeurée inchangée dans 75 % des cas. Un locataire non fumeur sur 10 a songé à déménager à cause de cela.

Une majorité des logements

Quelque 60 % des propriétaires indiquent que la plupart de leurs baux comportent une clause interdisant aux locataires de fumer, montre un sondage réalisé auprès de ses membres par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec. « C’est désormais une minorité de propriétaires qui permettent aux locataires de fumer dans les logements de leur immeuble », précise Hans Brouillette.

Des HLM sans fumée

Aux États-Unis, le département d’État à l’Habitation, qui gère plus de 900 000 logements en habitations à loyer modique, a indiqué qu’il sera interdit de fumer dans l’ensemble de ses appartements d’ici un an. Cette politique antitabac procurera des économies de 150 millions par année, surtout attribuables aux incendies évités par l’interdiction de la cigarette dans les logements.

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