Opinion

La recherche et l’innovation au-delà des modes

Les périodes électorales sont toujours propices aux promesses d’un proche avenir glorieux et d’investissements qui vont faire du Québec l’envie du reste du monde. Ces discours optimistes épousent le plus souvent la dernière mode et les plus récentes expressions branchées.

Les enthousiasmes se succédant au fil des décennies, on a connu la fixation sur le « modèle Toyota », « l’innovation flexible », les « grappes industrielles », la biotechnologie, la génomique et les nano… On a cru, dans les années 1980, s’assurer un rang mondial dans l’industrie pharmaceutique avec le « joyau québécois » Biochem Pharma, avant que l’entreprise ne soit rachetée et démantelée dans les années 2000. Sans parler de l’abandon par Hydro-Québec en 1995 du très novateur moteur-roue. La fierté québécoise a ensuite misé sur l’aéronautique, largement aux frais des contribuables, pour ensuite offrir gratuitement à Airbus la C Series de Bombardier, geste annoncé comme « stratégique »…

Sans tirer aucune leçon de ces déboires, on mise aujourd’hui de la même manière sur l’informatique, l’intelligence artificielle, la voiture autonome et les projets soi-disant « disruptifs »… Et on se vante déjà de dominer bientôt ce marché mondial grâce à nos chercheurs de génie et leurs « jeunes pousses » créatrices d’algorithmes révolutionnaires qui attireront, bien sûr, les « investisseurs ».

Pourtant, avant de rejoindre la parade et de se mettre à courir dans la direction indiquée par les derniers gourous sans même savoir où ils vont et si c’est bien là que nous voulons aller collectivement – et sans savoir si nous en avons les moyens –, on devrait d’abord dresser le portrait de ce que nous sommes réellement en matière de recherche scientifique et d’innovation (R et D). Trop de nos leaders autoproclamés visionnaires et toujours heureux de vanter le Québec en plastronnant que nous devons nous mesurer aux meilleurs au monde n’ont le plus souvent aucune base empirique solide pour soutenir leur fierté de se prétendre de calibre mondial dans tel ou tel domaine, et souvent aucune conscience de ne disposer que du dixième, voire du centième des ressources des compétiteurs.

Jouer dans la cour des grands n’est pas gratuit et au lieu de regarder vers le sud (les États-Unis), on ferait mieux de regarder vers le nord, vers les pays scandinaves beaucoup plus comparables à notre situation et à nos moyens et capacités ; ce sont d’ailleurs, faut-il le souligner, des sociétés en meilleure santé que celle de nos voisins du Sud.

Pour cesser de dilapider des deniers publics pour faire croître artificiellement des entreprises vouées (au mieux) à être achetées quelques années plus tard par des multinationales, une politique cohérente et réaliste de la recherche devrait d’abord s’ajuster aux capacités réelles du pays. La photographie actuelle de ces capacités ne permet pas de lire l’avenir comme dans une boule de cristal jovialiste, mais on peut espérer qu’elle calmera les ardeurs des plus optimistes de nos « entrepreneurs » – qui entreprennent rarement avec leurs fonds propres –, qui prennent leur rêve pour la réalité.

Débutons avec un premier chiffre qui en dit beaucoup : le Québec produit environ 1 % des publications scientifiques mondiales.

Ce fait massif entraîne une première conclusion tout aussi évidente : les universités doivent former des spécialistes dans tous les domaines pour qu’ils puissent absorber le 99 % du savoir produit ailleurs ! 

Une seconde conclusion tout aussi incontournable : la nécessité que nos chercheurs tissent le maximum de collaborations possible avec les autres chercheurs, souvent mieux dotés, du monde entier et abandonnent la rhétorique de la « compétition globale ». On entend déjà les critiques indignés : « On n’est pas nés pour un petit pain ! Et il faut avoir des ambitions ! » Bien sûr ! Cela est évident mais il est tout aussi évident que si l’on veut une brioche, il faut avoir les moyens de se la payer…

Troisième conclusion : il faudrait aussi s’assurer que le système d’éducation soit cohérent. Or, le gouvernement annonce que les programmes de sciences au cégep vont couper des dizaines d’heures de physique et de mathématiques ! Et le même gouvernement veut former plus de scientifiques « de haut niveau » dans les universités ! Cherchez l’erreur !

Un système de recherche et d’innovation déclinant

Le tableau ci-contre démontre bien que malgré les grands discours sur « l’économie du savoir » on continue, en pratique, à faire l’économie du savoir… Car après une réelle période de croissance du système québécois de la recherche entre 1985 et 2000 environ, le Québec a régressé par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE en matière de R et D industrielle et de R et D gouvernementale.

Les jovialistes se réjouiront que la R et D universitaire reste pour sa part largement supérieure à la moyenne de l’OCDE et dépasse le Canada qui lui aussi décline depuis 2005 environ. Cette vitalité se reflète de façon positive sur la visibilité mondiale des publications scientifiques québécoises qui s’est accrue de manière régulière depuis 2000 et dépasse même la moyenne canadienne depuis 2010. Mais cet effort important dans le secteur universitaire ne compense pas le déclin de la R et D totale qui après avoir oscillé autour d’un sommet de 2,6 % du PIB dans la première moitié des années 2000 (comparé à 2,15 % pour l’OCDE et 1,97 % pour le Canada), a constamment décliné depuis pour atteindre 2,21 % en 2015 (comparé à 2,36 % pour l’OCDE et 1,65 % pour le Canada). La réalité indique bien que notre bateau coule aussi mais moins vite que celui du Canada…

Que conclure pour l’avenir ? En matière de recherche universitaire, il faut garder le cap et surtout ne pas concentrer indûment les ressources sur des sujets à la mode au détriment de domaines qui semblent moins « porteurs » (de quoi ?) mais qui pourraient réserver des surprises. Un exemple récent de surprise est fourni par la révolution en biologie moléculaire apportée par la découverte du système CRISP-Cas9. Cette découverte provient de l’étude des microbes et de l’amélioration de la production du yogourt !

La diversité est le meilleur garant du succès, ce que la sagesse confirme depuis longtemps : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

Pour la recherche industrielle, le problème est le même depuis un demi-siècle tant au Canada qu’au Québec : manque d’investissement en R et D de la part des entreprises, trop habituées à miser seulement pour leur compétitivité sur la faible valeur du dollar canadien et obnubilées par le souci d’enrichir les actionnaires plutôt que d’assurer l’avenir.

L'expertise des laboratoires gouvernementaux

Le rétablissement de l’expertise au sein des laboratoires gouvernementaux est aussi un élément méconnu mais très important : ils doivent avoir la capacité d’évaluer au nom du bien commun les divers projets soumis au gouvernement et non pas laisser les entreprises leur dire que leurs études montrent que leur dernier gadget est sans risque et, bien sûr, efficient.

Cela est vrai autant dans le domaine de l’informatique que dans les secteurs de l’environnement et de la santé. Le scandale fédéral du programme informatique Phénix devrait suffire à prouver que l’ignorance n’est utile qu’aux vendeurs « d’huile de serpent » (snake oil) et de leur incarnation moderne : les algorithmes aux capacités miraculeuses… Après tout, si les informaticiens peinent à faire imprimer des chèques de paie, on peut se questionner sur l’efficacité et l’innocuité de leurs robots intelligents…

En somme, la meilleure politique de recherche et d’innovation n’est probablement pas la plus rentable en regard de l’échéancier politique, car éviter les décisions impulsives et garder l’avenir ouvert aux imprévus ne se traduit pas facilement dans des programmes que les conseillers en communication des gouvernements peuvent annoncer en grande pompe de manière cyniquement électoraliste.

Figure 1. Sauf pour la R et D universitaire, l’effort québécois de R et D industrielle et gouvernementale décline depuis 15 ans et est largement inférieur à la moyenne de l’OCDE. Sources : OCDE, PIST ; StatCan, Cansin 384-0038 et 358-0001

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