Constituons !

De la politique sous le couvert de l’art

Il y a tout un pan de la programmation du FTA qui relève de la courtepointe politique. Au centre de cette couverture se trouve l’ambitieuse pièce théâtrale de Christian Lapointe, qui a provoqué, puis documenté, l’aventure de 42 citoyens québécois à l’origine de la rédaction d’une constitution québécoise.

« Il y a un grand débat sur la laïcité de l’État en ce moment, mais il n’y a pas de loi-cadre au Québec, on n’a pas de Loi fondamentale, nous dit d’emblée le metteur en scène et professeur à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM Christian Lapointe, qui peaufine son spectacle solo au Théâtre Le Bic depuis une semaine. On n’a pas signé la Constitution canadienne en 1982, mais on fait quand même partie du Canada, par tradition… »

Ce projet théâtral (Constituons !) est donc né d’une envie de transposer le débat constitutionnel dans l’arène théâtrale et d’explorer « les vides juridiques » qui font partie de notre réalité politique.

Pour combler ces vides, Christian Lapointe s’est dit : pourquoi ne pas réunir des citoyens québécois, représentatifs de la société, pour qu’ils rédigent une constitution ? Il a soumis son projet à l’Institut du Nouveau Monde (INM), dont la mission est justement d’accroître la participation des citoyens à la vie démocratique. La mayonnaise a pris.

Christian Lapointe a choisi la voie de « l’assemblée constituante ouverte », qui permet (véritablement) au Québec, comme province, d’avoir une constitution rédigée par des citoyens représentatifs de la société. Un droit reconnu dans la Constitution canadienne. La beauté de l’affaire : ils n’ont pas à se soucier de savoir si ce qu’ils écrivent entre ou non en contradiction avec la Constitution canadienne de 1982.

« Autrefois, Québec solidaire l’avait proposé, mais quand ils se sont rapprochés d’Option nationale, ils se sont ralliés à la proposition d’une assemblée constituante fermée, celle d’un Québec-pays. Mais ça, c’est de la fiction, parce que le Québec n’est pas un pays », analyse Christian Lapointe.

« As-tu déjà entendu dire qu’on avait le droit à ça, une assemblée constituante ouverte ? Ça fait 40 ans qu’on s’assure que t’en entendes pas parler. »

— Christian Lapointe, metteur en scène

« Les fédéralistes, poursuit-il, disent que c’est un cheval de Troie des indépendantistes, parce que si ça ne rentre pas dans la Constitution canadienne, ça va entraîner une sécession du Canada. Et les indépendantistes disent que si ça rentre dans la Constitution, ça va invalider le fait qu’on n’a pas signé la Constitution de 1982 ! »

Sélection de 42 citoyens

Christian Lapointe et l’INM ont donc suivi à la lettre le processus de sélection des citoyens appelés à rédiger une constitution.

« À défaut de pouvoir puiser dans la liste électorale, on s’est tournés vers une firme de sondage [Léger] qui possède une banque de données de 10 000 personnes participant à des études. On a tiré au sort 42 personnes parmi les 600 qui se sont montrées intéressées à notre projet en s’assurant qu’elles soient représentatives de la société [hommes/femmes issus de toutes les régions administratives, représentatifs de la diversité et des écarts de revenus]. »

Ces 42 citoyens ont fait l’analyse des opinions exprimées dans le cadre d’une vaste consultation publique (forums citoyens, questionnaires en ligne, appel de mémoires) menée depuis un an par l’INM. Toutes les étapes ayant mené à la rédaction de cette constitution (divisée en six commissions thématiques) ont été filmées par Alexis Chartrand.

Concrètement, Christian Lapointe présentera seul sur scène pendant deux heures leur travail, avec montage vidéo à l’appui (et une participation spéciale de l’Innu Alexandre Bacon).

« Ça a quelque chose de la conférence où je vulgarise le contexte de façon ludique, nous dit-il. Je vais recréer la période de consultation de façon théâtrale. Je vais lire aussi quelques extraits et je donnerai à voir le tourbillon de données dans lequel je me suis trouvé ! » De la centaine d’heures d’enregistrements, il a gardé une vingtaine de minutes d’extraits.

Des affinités avec J’aime Hydro

On lui fait remarquer la familiarité avec J’aime Hydro, portée sur scène par Christine Beaulieu suivant une démarche citoyenne similaire. Une pièce documentaire de quatre heures qui est devenue un véritable phénomène de la scène québécoise. « La différence majeure, c’est que J’aime Hydro est basée sur une réalité existante. Ma pièce relève plus de la manœuvre, vu que j’ai dû créer la réalité à documenter. »

Christian Lapointe déposera le projet de constitution québécoise (qui contient un préambule et 80 articles) à l’Assemblée nationale le 29 mai en compagnie des deux coprésidents : le constitutionnaliste Daniel Turp et l’ex-bâtonnière du Québec Claudia Prémont, et une dizaine des 42 constituants.

« Les 42 personnes qui ont travaillé sur ce projet n’ont pas été influencées par des lobbyistes, souligne Christian Lapointe. À cause du couvert de l’art, personne ne leur a soufflé quoi que ce soit dans les oreilles. »

Quel impact espère-t-il produire ? 

« L’INM a fait ça comme si le gouvernement le lui avait commandé. Québec pourrait sonder la population pour adopter ce texte et si elle répondait favorablement aux deux tiers, ça pourrait avoir valeur légale. C’est sûr que c’est mon fantasme. »

— Christian Lapointe, metteur en scène

Une société modérée

Sans divulgâcher les détails du contenu de cette constitution (au cœur de la représentation), quelques consensus se dégagent, à commencer par l’importance de la langue française, la laïcité, la diversité culturelle et l’environnement.

« Il y a plus de 2000 personnes qui ont répondu aux questionnaires, 250 personnes qui ont participé aux forums citoyens. Parmi eux, il y avait des gens de droite et des gens de gauche, mais ce que j’ai réalisé, c’est à quel point les Québécois sont modérés et pacifistes. C’est une réalité qu’on oublie. Les gens des extrêmes, droite ou gauche, les gens racistes, sont vraiment une minorité. »

Christian Lapointe se réjouit de la légitimité de l’exercice qu’il a mené avec l’INM pendant un an.

« Le tirage au sort nous ramène à la vraie notion de démocratie et on se rend compte que le citoyen ordinaire est capable de faire ce travail. Probablement mieux que les spécialistes, parce qu’un des enjeux, quand on rédige une Loi fondamentale qui nous régit tous, c’est qu’on devrait être capables de la lire et de la comprendre. »

C’est exactement ce que fera le public à la fin de Constituons !. Des spectateurs liront les articles de leur première constitution !

Du 1er au 4 juin, au Théâtre d’Aujourd’hui

D’AUTRES SPECTACLES POLITIQUES

Sus au capitalisme sauvage !

Le FTA flirte cette année avec le politique. Plusieurs pièces annoncent des révolutions ou dénoncent le capitalisme. Parmi elles, nous en avons retenu quatre.

Cuckoo

Première visite de Jaha Coo, créateur d’origine coréenne qui s’en prend au système capitaliste de la Corée du Sud. « Cuckoo » est la marque d’un cuiseur à riz. Sur scène, il y en aura trois, de ces autocuiseurs (symbolisant la réussite industrielle). Des machines qui l’aviseront que son repas est prêt. Mince réconfort pour celui qui vient d’apprendre qu’un autre ami vient de se suicider. Une pièce qui fait état de la crise sociale et économique qui a secoué le pays dans sa course aux profits.

À la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 30 mai au 2 juin

This Time Will Be Different

Cette installation-performance de deux artistes autochtones, Lara Kramer et Emilie Monnet, est une réponse à l’inaction du gouvernement canadien depuis la fin des travaux de la Commission vérité et réconciliation. Une enfant déchire une à une les 600 pages du rapport final ; elle est rejointe par l’artiste visuelle Glenna Mattoush, survivante des pensionnats. Une cérémonie intergénérationnelle qui met en scène six interprètes.

Au Monument-National du 1er au 4 juin

Hidden Paradise

Une entrevue d’Alain Deneault sur les paradis fiscaux est à l’origine de cette performance créée l’an dernier par Marc Béland et Alix Dufresne. Le spécialiste de l’évasion fiscale s’exprimait en 2015 au micro de Marie-France Bazzo. Cet entretien sert de toile de fond à une chorégraphie au confluent de la danse et du théâtre où les deux interprètes expriment rage et impuissance face à ces passe-droits des entrepreneurs ou des entreprises les mieux nantis.

Au Monument-National du 25 au 28 mai

Speed Glue

Une réflexion sur la compétitivité. Deux joueurs de ping-pong s’affrontent dans un match dont le but est évidemment de gagner. Mais si on jouait de manière à multiplier les échanges ? Simon Grenier-Poirier et Dorian Nuskind-Oder remettent en question la logique capitaliste selon laquelle pour qu’il y ait un gagnant, il faut qu’il y ait un perdant. La joute de ping-pong devient ainsi la métaphore d’un échange encore plus intéressant où tout le monde gagne.

À La Chapelle du 1er au 4 juin

— Jean Siag, La Presse

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