Montréal

Le « Gaulois » de Griffintown

Un commerçant de Griffintown a décidé de s’accrocher à son petit lopin de terre en refusant de céder à l’invasion des tours résidentielles dans son quartier. Sa bâtisse risque même de devenir un vestige de son secteur, et ce, bien malgré lui. 

La petite vie tranquille de la famille de Zaven Darakjian n’est plus ce qu’elle était. Depuis quelques mois, les bâtiments autour de sa résidence et de son commerce ont été complètement rasés pour faire place à des tours de logements et de condos. 

L’ancien secteur résidentiel et commercial ressemble maintenant à un véritable champ de bataille, où est situé, au centre, le garage de restauration d’automobiles anciennes Pit Stop, propriété de Zaven Darakjian. Sa résidence occupe les autres étages, où il habite avec sa femme et ses deux enfants.

« Ce n’est pas qu’on résiste, on ne veut pas être dans leurs jambes, mais on a mis tellement d’efforts et de temps dans le développement de notre clientèle ! On veut au moins obtenir une valeur de remplacement pour trouver une autre place. C’est aussi très difficile de trouver un endroit pour loger un garage au centre-ville », raconte-t-il. 

En 2005, la famille Darakjian a reçu la visite des représentants des deux entreprises de construction des futures tours, Devimco et Griffix. Ils sont revenus en 2006, 2007 et 2008 pour faire des offres d’achat, en vain. 

Selon Zaven Darakjian, vendre son bâtiment, c’est entre autres s’exposer au risque de perdre son permis municipal qui lui donne le droit d’opérer son garage. Un risque qu’il ne veut pas prendre, dit-il. « J’ai bâti tout mon avenir et ma famille dans cette bâtisse. Mes enfants sont heureux d’habiter près du centre-ville, et je ne pense pas que je pourrai trouver un loft de 1500 pieds carrés où habiter à un prix abordable à Montréal », explique-t-il d’une voix émue. 

Résidant depuis 42 ans 

Zaven Darakjian, d’origine arménienne, a choisi d’immigrer au Québec il y a 42 ans. « Je suis venu pour étudier le design des véhicules. J’ai décidé, après mes études, de continuer à jouer avec le design en créant mon propre garage », dit-il d’un ton moqueur. Il sera locataire du bâtiment qu’il occupera pendant six ans, avant de réussir à l’acquérir. 

Depuis les démolitions, l’immeuble de la famille Darakjian a subi des dommages importants. « J’ai perdu deux murs côté sud-est lorsqu’ils ont creusé. Un ingénieur de la Ville est également venu à quelques reprises pour s’assurer de la sécurité des lieux. J’ai une bataille des deux côtés », ricane le garagiste.  

Zaven Darakjian est assuré de garder son droit de passage, datant de 1926, une fois que les tours seront érigées. « Celui-là, on le perdra jamais », dit-il fièrement. 

Perte patrimoniale 

Porte-parole d’Héritage Montréal, Dinu Bumbaru critique le choix de la Ville d’avoir accepté de tout raser les bâtiments anciens. « Il y avait tellement d’intérêt pour voir arriver des grues de construction dans ce secteur qu’ils ont mis le développement avant l’urbanisme », a-t-il dit. 

Il rappelle également que l’actuel Griffintown « est situé sur un secteur historique de Montréal, datant de l’époque de la colonie. On a échappé de justesse la trame des rues, parce qu’ils étaient prêts à les laisser aux promoteurs », se souvient le porte-parole. 

Pour faire revivre l’âme ancienne du quartier, Dinu Bumbaru pense que les artistes pourraient avoir un rôle à jouer.

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