Critique / Humour

Le spasme de vivre

Ah ! Qu'André Sauvé a dû en sauver, des spectateurs ! Le temps d’une minute, d’une soirée, quelques heures après un spectacle ou même quelques jours plus tard. Comme Sauvé a sauvé Sauvé, un jour, en changeant de voie. Parce que quelle est au juste son espèce de spasme de vivre, face à la douleur que nous avons tous un peu, à ne pas comprendre c’est quoi, ça, la vie ?

On paraphrase n’importe comment le célèbre poème Soir d’hiver de Nelligan, puisque c’est par sa récitation très spéciale qu’on l’a découvert à ses débuts. Avec son troisième spectacle, simplement intitulé Ça – on reste dans le ton, puisque le deuxième était nommé Être –, l’humoriste continue de partager avec nous ses questionnements intérieurs, de façon si pointue parfois qu’on frise souvent l’absurde, peut-être pour nous aider à nous révéler à nous-mêmes. 

On n’est jamais loin du coach de vie, chez André Sauvé, mais sans l’impolitesse d’imposer des réponses ou des recettes, toujours dans la grâce du doute. 

Sans phrases creuses aussi, puisqu’il adore les creuser, ces phrases sans queue ni tête.

Comment ça va ? À part de d’ça ? C’est ça qui est ça ! Mais c’est quoi, « ça », comme le veut le titre de son show ? Ce qui nous définit ? Ce par quoi on finit par se définir quand on l’écoute ? Vous n’aurez pas de réponses claires, mais votre rire, lui, sera presque toujours franc et souvent plein de joie.

L’humoriste commence par nous expliquer que nous sommes un peu là, sans savoir d’où on vient ni vers où on s’en va, comme les « mouches à bananes » du cosmos, mais que nous n’avons pas trop le choix d’avancer, partagés entre notre instinct de survie et notre pulsion de procréer. Suit un petit cours d’ethnologie et de zoologie qu’on ne peut savourer qu’en le voyant s’activer sur scène, et c’est vraiment la partie la plus drôle du show.

Si on s’ennuie, c’est parce qu’on le veut, puisque tout ce qu’on vit est toujours neuf. « J’ai 53 ans, c’est l’âge le plus vieux que j’ai eu à date », dit-il, étonné, sachant que chaque chose est, au fond, vécue pour la première fois. 

Ça ne veut pas dire que la vie n’est pas pénible par moments – particulièrement dans la tête de Sauvé, qui fonctionne sur plusieurs pistes en même temps. Les angoisses. Les conversations vides. Les « zo-pi-gnons », souligne-t-il, exaspéré. « Moi, des opinions, j’en ai souvent pas ! » Il se demande même si on ne devrait pas être rationné, comme dans le temps de la guerre, à 50 mots par jour, car ainsi « la parole deviendrait précieuse ». 

Il nous raconte les fameux « aléas » de la vie, ses nombreux petits boulots pendant qu’il se cherchait, sa fuite en Inde où, comme un Forrest Gump, il a couru partout dans le pays dans son « cherchage » de lui-même, pour finalement réussir à se rapprocher de ce qu’il devait simplement écouter EN lui-même.

Sur scène, André Sauvé évolue sur un petit monticule, comme un modeste sage sur sa montagne, qui multiplie les petites paraboles, tantôt hilarantes, tantôt touchantes. Un problème de micro agaçant en ce soir de première médiatique montréalaise a failli faire dérailler son spectacle, mais ça fait probablement partie de ces fameux « aléas », alors qu’il nous explique que nous sommes quelque chose entre notre volonté et le destin qu’on ne contrôle pas. En tout cas, le public a fait avec lui une petite révolution à l’intérieur de sa tête, dans l’œil calme de la tempête pendant que tout autour, les éclats de rire tournoyaient. On n’a pas vu le temps passer. Ça, c’est sûr.

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