MUSÉES MontréalAIS

Instagram au musée

Abonné à Instagram ? Vous avez sans doute vu circuler des photos de l’œuvre murale représentant Leonard Cohen prise depuis le Musée des beaux-arts de Montréal. Ou des photos des expositions de l’artiste japonaise Yayoi Kusama un peu partout dans le monde. Qui sait, peut-être avez-vous déjà osé un égoportrait avec La Joconde ou avec un Picasso ? En 2018, les grands musées du monde ne sont plus entre quatre murs.

« Avant, le musée était l’autorité. Mais aujourd’hui, le public peut s’exprimer et communiquer. Nous sommes dans une nouvelle culture interactive et relationnelle », explique Christine Bernier, professeure en histoire de l’art à l’Université de Montréal.

« Instagram a donné un souffle promotionnel extraordinaire aux musées. Cela crée un effet d’entraînement… Le numérique ne remplacera jamais l’expérience, et le selfie est la preuve que tu étais sur place. »

Depuis la refonte de son site web en 2008, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) accorde une grande importance aux réseaux sociaux. « Quand je suis arrivée en 2007, il y avait déjà une page MySpace », raconte avec un sourire dans la voix Valérie Sirard, responsable des communications numériques.

« Nous avons été le premier musée sur Facebook au Québec », précise-t-elle plus sérieusement.

Près de 85 000 personnes sont abonnées à la page Facebook du MAC. Instagram gagne aussi en popularité depuis qu’il a été acheté par Facebook. « En 2017, on avait 17 000 membres sur Instagram, et nous sommes rendus à plus de 28 000. En un an, nous avons doublé. »

« Avant, les musées n’autorisaient pas les photos en salle. À un moment donné, il a fallu lâcher le contrôle, car tout le monde a un téléphone et se prend en photo. »

— Valérie Sirard, responsable des communications numériques du Musée d’art contemporain de Montréal

Après qu’Anne-Marie Barnard est entrée en poste au MAC comme directrice du marketing et des communications en 2013, les photos ont été permises au MAC suivant une résolution du conseil d’administration. « Cela a tout changé ! L’expérience du visiteur et la façon dont les artistes font rayonner leurs œuvres. »

« Cela a contribué de façon significative à augmenter la notoriété du musée et le rayonnement de nos expositions. On peut montrer le dynamisme, la culture et la vie du musée et même développer une famille et un écosystème. »

Des droits de reproduction ?

Monsieur ou madame Tout-le-Monde peut publier une photo d’œuvre sur un réseau social, car ce n’est pas à des fins commerciales, explique Gilles Lessard, chef du service des arts visuels et des métiers d’art à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN).

De leur côté, les musées ou les magazines d’arts visuels doivent toutefois payer des droits de reproduction.

Disons que cela concerne davantage les musées d’art contemporain que les musées d’archéologie.

Cinquante ans après la mort d’un artiste, rappelons-le, l’utilisation d’une œuvre entre dans le domaine public. Et si un individu ou un musée est propriétaire d’une œuvre récente, il n’en possède pas les droits de reproduction.

Pour le MAC, « c’est parfois frustrant ». Le Musée d’art contemporain de Montréal aimerait pouvoir faire circuler des images sans avoir à payer de droits pour les 6000 œuvres dont il est propriétaire. « En faible résolution, précise Valérie Sirard. Juste pour promouvoir la richesse de notre collection. »

Le bon côté de la médaille ? « Les artistes sont souvent vivants et ils sont souvent les premiers à vouloir démocratiser l’art contemporain et faire rayonner leurs expositions, indique Anne-Marie Barnard, du MAC. Ils produisent aussi eux-mêmes de l’excellent contenu. David Altmejd est allé à Tout le monde en parle, par exemple. Picasso est merveilleux, mais il n’est pas là pour expliquer son art. »

Économies publicitaires

Les réseaux sociaux font économiser beaucoup de frais promotionnels aux institutions culturelles et muséales.

« Beaucoup de touristes découvrent l’Arsenal grâce à Instagram », lance Delphine Larose, assistante aux opérations et à la programmation du centre d’art contemporain du quartier Griffintown.

Plus de 16 000 personnes suivent la page Facebook de l’Arsenal.

Non seulement l’Arsenal a plus de 5200 abonnés sur Instagram, mais il peut aussi compter sur une ambassadrice, Vanessa Pilon, qui en a près de 185 000.

Il y a moins de trois mois, Arsenal a fusionné les comptes Instagram de ses trois centres à Montréal, Toronto et New York. Pour stimuler le tourisme, mais aussi pour des raisons de marketing. « Il y a eu beaucoup de recherche de bonnes idées. Le but était d’affirmer Arsenal comme une image de marque et comme une entité forte. Et aller chercher une cohérence, même si nos mandats sont différents. »

« Nous mettons seulement du contenu de nos expositions », précise Delphine Larose. Or, des Montréalais ou des visiteurs font aussi connaître l’Arsenal sur Instagram avec des photos prises lors d’événements courus comme C2 Montréal et la foire Papier de l’Association des galeries d’art contemporain.

« Nous avons la chance d’avoir un bel espace qui est, entre guillemets, très instagramable », souligne Delphine Larose.

L’une des œuvres les plus « instagramées » de l’Arsenal est sans contredit celle de Graham Caldwell constituée de multiples miroirs intitulée Compound Eye.

Ouvrir le dialogue

« Nous assistons à un changement important », lance Christine Bernier.

Avec les réseaux sociaux, les musées ne sont plus entre quatre murs. « Au XIXe siècle, les musées étaient contestés. Des gens leur reprochaient de décontextualiser des objets », souligne la professeure en histoire de l’art.

Aujourd’hui, il existe des sites web pour créer son propre musée avec ses œuvres préférées. On peut aussi faire des visites virtuelles du Museum of Modern Art (MoMA) de New York et du musée de Van Gogh grâce au Google Art Project.

Deux Montréalaises, Juliette Marzano et Raphaëlle Cormier, sont par ailleurs derrière la galerie exclusivement en ligne Arts Contempory Club.

En somme, les réseaux sociaux ont donné une voix aux amateurs d’art et aux visiteurs des musées. « Les gens s’approprient l’espace et “curatent” l’expérience de leur visite », dit Delphine Larose, de l’Arsenal.

« Ce qui est intéressant, c’est de voir le regard du visiteur par rapport à l’œuvre et son interprétation », renchérit Valérie Sirard.

« Le contenu que nos visiteurs produisent est franchement excellent. On en rediffuse », ajoute sa collègue Anne-Marie Barnard, du MAC.

Une artiste née sur Instagram

L’artiste Cécile Gariépy doit carrément sa carrière d’illustratrice à Instagram. « Je n’ai pas de formation en arts visuels. À la base, j’étais réalisatrice. Quand je suis allée faire ma maîtrise à Paris, c’était très académique, et j’avais besoin de changer d’air. J’ai commencé à faire des petits dessins sur mon bureau et à les mettre sur Instagram. Puis ma carrière a changé. »

Le magazine d’horticulture québécois Bosquet l’a contactée pour publier une illustration. Puis sa carrière a décollé avec un contrat pour Plaisirs gastronomiques. « Le directeur artistique de la boîte LG2 m’a trouvée sur Instagram, précise-t-elle. Le New York Times m’a appelée quelques semaines après mes premières publications. »

Depuis, Cécile Gariépy a eu des contrats pour Visa, Aésop et Spotify. Elle fait aussi des illustrations « éditoriales » pour des médias, dont le New York Times, Esquire, Urbania, etc.

Et elle a réalisé des œuvres murales, notamment pour une ruelle verte de Villeray et pour le Club de curling de Mont-Royal. Et elle revient du Belize, où elle a transformé les murs de 25 chambres d’un hôtel.

Pour ses 30 ans qui approchent, elle voudrait tenir une exposition. « Je manque de temps. Je voudrais aussi peindre pour m’éloigner de mon ordinateur », ajoute-t-elle.

Ce projet intéressera sans doute ses 11 000 abonnés sur Instagram.

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