Travail

Manger sainement avant le lever du soleil

Dans leur combat acharné pour renverser leur horloge biologique interne, les travailleurs de nuit doivent souvent composer avec des troubles digestifs et de sommeil. Pour eux, la saine alimentation représente un défi de taille.

Ils travaillent lorsque les autres sommeillent et ils dorment lorsque le monde s’anime. Les travailleurs de nuit subissent les nombreux contrecoups de l’inversion temporelle qui induisent des perturbations de la vie sociale et familiale, mais aussi de la prise des repas, tant dans leur fréquence que dans leur qualité. « J’ai eu du mal à m’adapter à l’horaire de nuit », reconnaît Alexandre Paradis, préparateur aux commandes motorisées dans une quincaillerie depuis six ans. « Au début, j’étais fatigué, j’avais des maux de cœur et un manque d’appétit. Heureusement, la faim est revenue », énonce le père de famille de 33 ans. 

« Le travail de nuit m’oblige à manger davantage que si je travaillais de jour, constate pour sa part Nathalie Béland, aide-infirmière-chef en chirurgie dans un hôpital. J’ai l’impression de toujours avoir faim et de manger souvent. »

Selon les dernières statistiques de 2009, 15,2 % de tous les salariés travaillent de nuit au Québec. Parmi eux, seuls 10 à 12 % arrivent à s’ajuster au travail de nuit, précise Marie Dumont, codirectrice du Laboratoire de chronobiologie de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. « Pour les autres, l’horaire de nuit et la privation de sommeil ont des impacts néfastes sur la santé. Surtout lorsqu’ils se prolongent sur plusieurs années. »

Comme des diabétiques 

Que se passe-t-il dans le corps de ces infirmières, policiers, machinistes, ambulanciers et autres maîtres d’hôtel affectés à des postes de nuit? « Leur horloge biologique essaie de se rendre compatible avec l’horaire imposé sans y parvenir complètement. Cette lutte la place dans un état de déséquilibre constant », explique Marie Dumont, aussi professeure au département de psychiatrie de l’Université de Montréal. À court terme, s’ensuivent des problèmes de sommeil, de stress et de vigilance. À long terme, le travail de nuit augmente les risques de troubles cardiovasculaires et de cancer. 

Les salariés de nuit s’exposent également à des problèmes liés à l’alimentation et à la digestion : troubles de l’appétit, nausées, brûlures d’estomac, prise de poids. « Ils ont une plus grande propension à prendre du poids étant donné que leurs sécrétions hormonales sont déphasées, précise le Dr Pierre Mayer, directeur de la Clinique du sommeil de l’Hôtel-Dieu du CHUM. Cela entraîne une augmentation plus importante du sucre dans le sang, comparable à celle observée chez les diabétiques. Ce dérèglement a une mauvaise influence sur le taux de cholestérol, augmente les risques d’hypertension artérielle et d’obésité. » Le travail de nuit est contre nature, renchérit Marie Dumont. L’horloge biologique envoie des signaux de sommeil, de réveil et pour métaboliser la nourriture au mauvais moment. « Toutes les fonctions sont désaccordées. C’est comme s’il n’y avait plus de chef d’orchestre et que les instruments jouaient un peu croche. Ça ne ferait pas une belle musique », illustre-t-elle. « Puisque leur système est à ce point fragilisé, les travailleurs de nuit devraient mener une vie de sainteté pour avoir une bonne santé, ajoute Mme Dumont. Ils devraient surveiller leur alimentation et manger à des heures régulières autant que possible. »

Bien manger pour mieux dormir 

« Il faut manger la nuit ! De nombreux travailleurs préfèrent ne rien avaler et carburent aux boissons stimulantes. Or, il est primordial de s’alimenter pendant la période de travail. Les repas sont plus légers, certes, mais complets », souligne la nutritionniste Louise Desaulniers, associée à la Clinique de nutrition Louise Lambert-Lagacé.

« L’exposition à la lumière de même que les repas riches en protéines sont importants pour aider à la resynchronisation de l’horloge biologique, assure le Dr Mayer. Puisqu’il produit moins d’insuline la nuit, le travailleur devrait avoir une alimentation pauvre en sucres simples. En fait, il devrait s’alimenter comme un diabétique. »

À quel moment les travailleurs nocturnes devraient-ils déjeuner, dîner et souper? Louise Desaulniers recommande la prise de quatre repas par jour, plutôt que les trois repas habituels. Ils consistent en un repas léger de type petit-déjeuner au lever, d’un repas plus soutenant avant de partir travailler, d’un repas complet et équilibré à la pause-repas de nuit et d’une collation légère avant d’aller au lit. « Il importe de manger avant, pendant et après la période de travail. On évite ainsi que la faim nous réveille pendant le sommeil diurne », soutient Louise Desaulniers. Les repas copieux et gras sont à proscrire, s’entendent les spécialistes. « Les travailleurs de nuit ont tendance à manger plus gras et plus sucré pour contrecarrer la fatigue. Or, lorsqu’on est en privation de sommeil, on sécrète moins de leptine, l’hormone qui freine l’appétit, et davantage de ghréline, l’hormone qui stimule l’appétit. Il faut donc demeurer vigilant et adopter une alimentation saine », explique le Dr Mayer. 

L’offre de cuisine santé étant réduite au minimum dans les milieux de travail la nuit, la malbouffe fait souvent partie du quotidien des travailleurs. « J’apporte un lunch complet et équilibré pour ma pause à 3 h du matin. Le reste de mon alimentation se compose de petits repas ou de collations saines. Or, plusieurs de mes collègues préfèrent se faire livrer des repas de restaurant, jusqu’à trois ou quatre fois par semaine », observe Alexandre Paradis. « La cafétéria de l’hôpital est fermée la nuit, faute de personnel, raconte pour sa part Nathalie Béland. Il n’y a donc que des machines distributrices ou des restaurants ouverts jusqu’à 1 h du matin. Comme j’ai un surpoids, j’essaie de manger sainement en apportant des salades et des repas équilibrés, mais c’est parfois difficile de résister à la tentation lorsque mes collègues commandent un repas », admet l’infirmière.

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