CHRONIQUE hydroÉLECTRICITÉ

Norvégiens… quand ça nous arrange

Au Québec, on aime la Norvège. Assez pour la voir souvent comme un modèle. Pour ses universités gratuites, par exemple. Ou encore l’énorme succès du renouvellement de son parc automobile : on apprenait il y a quelques jours que depuis le début de l’année, plus d’un nouveau véhicule sur deux est électrique ou hybride.

Mais on oublie des morceaux. On ne parle pas des compromis et des contraintes derrière ces réalisations. Et il y a bien des comparaisons que l’on prend soin de ne pas faire. On aime le modèle norvégien quand ça nous arrange.

Ça m’est revenu à l’esprit la semaine dernière quand la Régie de l’énergie n’a accordé à Hydro-Québec qu’une hausse de 0,7 % de son tarif résidentiel, deux fois moins que les 1,6 % que la société d’État aurait aimé obtenir.

Comme le veut la tradition, cette décision a été traitée comme une nouvelle importante, elle a été bien en vue dans les bulletins de nouvelles, elle a fait la manchette des pages économiques des quotidiens.

Quand on y pense un peu, n’est-il pas étonnant qu’on accorde autant d’importance à un événement dont les conséquences sont somme toute insignifiantes ? En moyenne, les Québécois paieront 11 $ de plus par année. Ce n’est rien quand on pense que le prix d’un seul plein d’essence peut varier de 6 $ ou 7 $ d’une semaine à l’autre.

S’il y a matière à nouvelle, m’a-t-on patiemment expliqué, c’est que la Régie de l’énergie a tempéré les demandes de la société d’État. Mais même si Hydro-Québec avait eu gain de cause, la facture n’aurait grimpé que de 25 $ par année.

« Petite hausse, mais toujours de trop lorsque les clients en arrachent », a lancé la porte-parole de l’Union des consommateurs. On a, me semble-t-il, perdu le sens des proportions. Avec les nouveaux tarifs, qui s’appliqueront en avril, la facture baissera de 4 cents par mois pour les logements et n’augmentera que de 88 cents par mois pour les petites maisons. Ceux qui paieront plus, ce sont ceux qui ont plus de moyens, 1,75 $ par mois pour une maison moyenne et 2,39 $ pour une grosse maison.

Ce qu’il y a derrière ces nouvelles, c’est que le prix de l’électricité est une obsession collective au Québec, une valeur sacrée, reposant sur la conviction profonde qu’une augmentation des prix est une anomalie et une augmentation supérieure à l’inflation est un sacrilège.

Un long détour pour revenir à la Norvège. Nous avons un point commun avec ce pays, en plus de l’hiver. La Norvège est elle aussi l’un des gros producteurs mondiaux d’hydroélectricité, avec des ressources assez abondantes pour être l’un des très rares endroits, avec le Québec, où la majorité des familles se chauffent à l’électricité.

La similitude s’arrête là. Les Norvégiens, fin 2016, payaient en moyenne 100,4 øre le kilowattheure, ce qui équivaut à 16 cents. Au Québec, c’est environ 7 cents. Les Norvégiens paient plus du double. En plus, leur facture a augmenté de 23,8 % en 2016 ! Vous avez bien lu. Là-bas, les prix fluctuent en fonction du marché et des coûts de production.

Nous sommes manifestement en présence de deux philosophies. Au Québec, où l’électricité est un symbole des succès de la Révolution tranquille, on a choisi de faire profiter les Québécois des bienfaits de cette richesse collective en leur offrant cette ressource au rabais. En Norvège, on vend l’électricité à sa valeur au marché, comme le pétrole.

Il y a un consensus politique au Québec pour empêcher une croissance des prix de l’électricité supérieure à l’inflation. Il ne reste que les économistes et les partisans d’une politique énergétique cohérente pour penser autrement.

Ce consensus repose sur une mauvaise prémisse, celle qu’il ne faut pas accabler les Québécois, déjà assez taxés. La facture d’électricité n’est pas un impôt, c’est un prix pour un service, comme pour le gaz ou le téléphone.

Cela a des conséquences. Sur le plan environnemental, on encourage la surconsommation et on freine les politiques d’économie d’énergie. Sur le plan social, ces bas tarifs sont régressifs, parce que ce sont les gros consommateurs qui en profitent le plus. Sur le plan économique, on se prive de ressources collectives et de leviers de développement.

Ce qui me ramène à la Norvège. Derrière ses politiques qui nous font envie, il y a des choix. Pour financer la gratuité scolaire par exemple, ce qui coûterait ici 700 millions, il faudrait trouver l’argent quelque part. Pour favoriser les autos électriques, il faudrait aider les consommateurs. La Norvège le fait en les exemptant des taxes prohibitives qui frappent les autres véhicules – des immatriculations d’environ 15 000 $ et une taxe de vente de 25 %. Bref, on n’a rien sans rien.

Cela nous rappelle le caractère hybride de la société québécoise, résolument scandinave dans ses attentes envers l’État, mais pas mal plus nord-américaine quand il s’agit de contribuer.

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