Romans québécois

Sur la route

Trois jeunes auteurs québécois nous entraînent sur la route dans des premiers romans très réussis publiés récemment. En vélo, en avion, en voiture, leurs personnages avalent les kilomètres mais leurs voyages sont également intérieurs et donnent lieu à une quête existentielle parfois drôle, parfois tragique, toujours à fleur de peau. 

Un vélo dans la tête

Mathieu Meunier

Marchand de feuilles, 233 pages

3 étoiles et demie

Le narrateur de ce roman, Mathieu, a comme projet de descendre la côte ouest en vélo, de Vancouver à la Terre de Feu. Sur sa bécane qui se déglingue à mesure qu’il roule vers le Sud – il est l’antithèse du cyclotouriste super équipé – , avec quelques dollars en poche et ouvert à toutes les rencontres, il couche à la belle étoile, dans des motels miteux ou des campings paradisiaques, mange peu et boit beaucoup de café. Une étrange équipée puisque, employé d’une compagnie aérienne à Kuujjuaq, il travaille trois semaines d’affilée puis a trois semaines de congé – il laisse donc régulièrement son vélo en consigne pour retourner dans le Nord, et revient trois semaines plus tard pour continuer sa route… Sur les traces de la mystérieuse Soyouz, dont il a découvert les notes dans une édition usagée des Portes de la perception, Mathieu « se cherche une vie » dans une fuite en avant pleine d’humour et d’autodérision. Sa quête de liberté, qui rencontre de nombreux obstacles mais aussi de vrais moments de grâce, semble se terminer dans un cul-de-sac mais Mathieu y verra plutôt « un labyrinthe » dont il doit trouver l’issue. Trépidant, essoufflant, sinueux, ce premier roman regorge d’images fortes et la narration de ce périple fou est truffée de digressions incroyables. Avec ses phrases précises et son écriture concrète, Mathieu Meunier amène son personnage au-delà des frontières d’un monde étriqué, et les lecteurs aussi.

Patchouli

Sara Lazzaroni

Leméac, 118 pages

3 étoiles

Fille de hippies, Patchouli a eu une enfance heureuse et a passé les 12 premières années de sa vie dans un Winnebago sur les routes des États-Unis. La famille s’installe à Québec au début de son adolescence, son père les quitte peu de temps après, et Patchouli a 17 ans quand elle part pour un tour du monde qui durera cinq ans. Le roman commence deux ans après son retour : sa mère est aux soins palliatifs et la jeune femme, qui n’a ni amis ni emploi, vit dans les souvenirs de ce voyage en relisant son journal intime rempli de pulsions amoureuses et de révoltes adolescentes. Mais si Patchouli a parcouru la planète, elle est seule et pas vraiment outillée face à la « vraie » vie. Elle en apprendra les rudiments, et surtout, y prendra goût grâce à sa nouvelle famille italienne – qu’elle rencontre au café Dolce Chiara, où elle travaille. Écrit par une auteure d’à peine 20 ans, ce court roman raconte avec beaucoup de sensibilité le passage à l’âge adulte d’une jeune fille sans repères. Les maladresses et les envolées lyriques de son journal de voyage sont typiques de cette période de la vie en quête d’absolu, alors que les scènes dans le présent traduisent bien, sans pathos, le mal-être de ce personnage qui se cherche un ancrage solide. Un roman sincère et délicat, et un talent à suivre.

Le fil des kilomètres

Christian Guay-Poliquin

La Peuplade, 221 pages

3 étoiles et demie

Paru en novembre, ce roman est probablement le plus intrigant et le plus exigent des trois. Le narrateur, qui est mécanicien dans une raffinerie quelque part dans l’Ouest, a un objectif précis : aller s’occuper de son père qui a « le cancer de la mémoire » et qui vit complètement à l’est, dans une ancienne ville minière. Au volant de sa vieille voiture rouge, il prend la route pour une traversée du continent de milliers de kilomètres. C’est d’ailleurs ainsi qu’est ponctué ce récit halluciné – kilomètre 1136, kilomètre 3677… —, conduit jour et nuit par l’homme qui ne s’arrête que pour se ravitailler. Au cours du voyage, il fera monter deux inconnus – une femme au passé trouble, un homme trop bavard. Mais dans une chaleur étouffante, le road trip se transforme peu à peu en roman de fin du monde puisqu’une panne d’électricité générale paralyse le pays. Ainsi, les lieux qu’ils traversent sont de plus en plus désertés, les villes protégées par des milices, et le danger surgit de partout. Si ce changement de registre est amené avec parcimonie et que le climat de peur qui s’installe fonctionne bien, il reste déstabilisant. Il nous fait surtout oublier la quête intime du narrateur et même un peu l’écriture brillante et maîtrisée de ce nouvel auteur au talent déjà très sûr, qui réussit malgré tout à nous captiver avec ce voyage qui est moins en ligne droite qu’il en a l’air.

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