SOINS DE SANTÉ POUR ANIMAUX

Les vétérinaires

sur un fil de fer

Tous les propriétaires d’animaux domestiques se sont déjà posé la question : est-ce que je paie trop cher chez le vétérinaire ? Puis-je avoir confiance ?

Il faut dire que le vétérinaire se situe dans une classe à part : professionnel de la santé, il est aussi entrepreneur. Il est celui qui prescrit les médicaments et celui qui les vend. Il est propriétaire ou locataire de son équipement et doit le rentabiliser. Bref, le vétérinaire est constamment en conflit d’intérêts. Et comme l’a appris La Presse, certains en profitent…

« Chaque matin quand j’entre dans ma clinique, je sais que je suis en conflit d’intérêts, lance le Dr Joël Bergeron, président de l’Ordre des vétérinaires du Québec. Si je prescris un médicament ou si je recommande une radiographie, je dois m’interroger sur la justification de ma décision. »

« C’est une profession, comme les notaires ou les dentistes, qui fait appel à la vigilance et à l’intégrité face au code de déontologie. »

— Le Dr Joël Bergeron, président de
l'Ordre des vétérinaires du Québec

Charles Moisan est bioéthicien diplômé en médecine vétérinaire. Il a pratiqué durant 15 ans auprès des animaux avant de se consacrer à la recherche. Son mémoire de maîtrise porte spécifiquement sur la question des conflits d’intérêts en médecine vétérinaire. 

« Dans les années 90, des spécialistes en gestion de la médecine ont commencé à brasser la cage des vétérinaires en leur disant : vous avez un produit unique et vous avez l’attachement du client. Profitez-en ! En médecine vétérinaire, on joue beaucoup sur la culpabilité des propriétaires d’animaux. On prescrit des tests sanguins avant une opération, par exemple. Le client va se dire : je ne peux pas refuser. Or le test sanguin n’était pas nécessaire. Dans 90 % des consultations, il s’agit de cas assez simples qui nécessitent peu d’interventions mais on est incité à en faire plus que le nécessaire. »

Alain Aspirault, vétérinaire et directeur général de la Coopérative des vétérinaires du Québec, apporte toutefois un bémol : « Le vétérinaire est en conflit d’intérêts comme l’est le garagiste par exemple, affirme-t-il. S’il vous disait d’aller acheter votre pinte d’huile dans un autre magasin avant votre changement d’huile, vous ne l’aimeriez pas beaucoup, n’est-ce pas ? C’est la même chose pour nous. Si votre chien a la diarrhée, le client est bien content d’acheter le médicament en clinique sans devoir aller à la pharmacie. On offre tous les services au même endroit pour répondre aux besoins de la clientèle. »

Les règlements de l’Ordre des vétérinaires sont clairs : le propriétaire d’une clinique ainsi que ses principaux actionnaires doivent obligatoirement être vétérinaires ce qui, en principe, devrait écarter tout conflit d’intérêts puisque les vétérinaires prêtent serment. Mais il est assez facile de contourner cette règle, comme nous l’ont expliqué plusieurs vétérinaires au cours de ce reportage. En effet, comme le pharmacien, le vétérinaire peut louer un local dans un édifice qui abritera, en plus de la clinique, une boutique d’accessoires pour animaux par exemple. Le propriétaire de l’édifice louera en outre l’équipement médical au vétérinaire. S’il décide de hausser ses coûts ou son taux d’intérêt, il exercera une pression sur le vétérinaire pour qu’il génère plus de revenus.

« On va se le dire, le temps du bon Dr Dolittle est terminé, lance un vétérinaire qui compte plus d’une dizaine d’années d’expérience et qui préfère garder l’anonymat. Au cours des dernières années, on nous a dit : vous êtes les seuls médecins qui ne font pas d’argent. Alors, on apprend à en faire. J’ai quitté une clinique parce que je subissais des pressions pour générer plus de revenus. Le médecin n’a pas l’obligation des résultats mais l’obligation des moyens, et les moyens, c’est de faire passer des tests. Ça rapporte. »

UNE PRATIQUE QUI CHANGE

Au Québec, la pratique de la médecine vétérinaire est en profonde mutation. L’image du bon vieux docteur qui reçoit les clients dans sa clinique de quartier est menacée. De plus en plus de vétérinaires se regroupent au sein de grands centres ou réunissent leurs cliniques sous une même bannière pour minimiser leurs coûts, maximiser leur pouvoir d’achat auprès des distributeurs et s’assurer d’une relève.

Un exemple : le fonds d'investissement en santé Persistence Capital Partners (PCP) – auquel s'était associé le premier ministre Philippe Couillard, alors ministre de la Santé, lorsqu'il a quitté la politique en 2008 – vient d'annoncer un investissement dans Anima-Plus, un groupe qui possèdes cinq cliniques au Québec. Sur son site web, PCP se définit comme un fonds d'investissement « qui se concentre exclusivement sur les occasions d'affaires qui ont un potentiel de forte croissance dans le domaine des services de santé ». L'objectif avec Anima-Plus : développer et étendre les activités en Ontario et dans les Maritimes. Au total, Anima-Plus pourrait se porter acquéreur d'une vingtaine de cliniques.

«Il s'agit d'un marché en expansion non pas parce que le nombre d'animaux augmente, mais parce que les propriétaires d'animaux dépensent de plus en plus. »

— Mathieu Doyon, chef de la direction chez Anima-Plus

« Les gens seuls ou les couples sans enfant traitent leurs animaux comme leur propre enfant. Ce phénomène d'humanisation s'observe depuis une quinzaine d'années aux États-Unis et au Canada anglais. Nous sommes un peu en retard au Québec », indique Mathieu Doyon, chef de la direction chez Anima-Plus.

L'investissement de PCP va permettre au groupe Anima-Plus de «revoir sa structure de gestion en le faisant bénéficier de son expérience dans le domaine de la santé humaine», note Éric Bergevin, associé et chef des finances chez PCP. «Nous n'avons pas le choix de revoir notre organisation du travail, ajoute M. Doyon. Les jeunes vétérinaires de la génération Y et X ne veulent pas tout faire comme le faisaient les vétérinaires baby-boomers qui soignaient le jour et s'occupaient de leur gestion le soir.  Ils recherchent une organisation différente. Nous avons été approchés par plusieurs fonds mais nous avons choisi PCP parce que pour nous, la qualité des soins de santé était non négociable et qu'ils avaient une réputation sans faille. En plus, c'est un fonds québécois. Or, je vois venir l'arrivée des Américains depuis sept ou huit ans.» 

En effet, les entreprises américaines lorgnent le marché canadien. Dans le reste du pays, plusieurs cliniques ont été achetées par des intérêts américains au cours des dernières années, une tendance qui n’épargnera pas le Québec. En 2012, VCA Antech – un supergroupe en santé animale qui a généré des revenus de 464 millions dollars US pour le troisième trimestre de 2013 – s’est porté acquéreur de Associate Veterinary Clinics (AVC), la plus importante chaîne de cliniques vétérinaires du Canada. AVC est partenaire investisseur dans le groupe québécois Vétéri Médic qui possède plusieurs établissements de la région de Montréal dont le centre vétérinaire Rive-Sud. Cette nouvelle réalité – le regroupement et l’arrivée d’investisseurs étrangers – en inquiète plus d’un.

« Jusqu’ici, le Québec était le village gaulois qui résistait au tsunami qui frappait le reste du Canada, lance le Dr Jean Gauvin, un vétérinaire qui compte plus de 30 années de pratique. Ici aussi, maintenant, les modèles d’affaires explosent et l’inconnu fait peur. Une compagnie comme Antech a déclaré récemment qu’elle avait 65 millions de dollars à dépenser au Canada au cours des prochaines années. Il faut donc prévoir d’autres acquisitions. Il est indéniable que pour les clients, les gros centres ont un attrait en comparaison avec les cliniques de proximité. De leur côté, les vétérinaires ont peur de se faire dicter comment travailler, ils craignent que leur pratique ne disparaisse. »

« Il y a un danger que les décisions économiques prennent le dessus sur les décisions médicales. C’est un gros défi pour les ordres professionnels. »

— Le Dr Jean Gauvin, vétérinaire qui compte plus de 30 années de pratique

«Notre priorité est la médecine de qualité, insiste Mathieu Doyon d'Anima-Plus. Nous ne ferons pas de compromis là-dessus. C'est en modifiant notre structure de gestion que nous pouvons rentabiliser nos opérations.»

« Chaque changement entraîne son lot d’inquiétude, estime pour sa part le Dr Joël Bergeron de l’Ordre des vétérinaires du Québec. Il faut rester vigilant. Le partenariat financier ne doit pas influencer le travail du vétérinaire et la qualité doit être assurée. »

Pour résister à toutes ces pressions, une centaine de vétérinaires indépendants se sont regroupées au sein de la Coopérative des vétérinaires du Québec. Ils sont aujourd’hui 130 mais leur nombre pourrait atteindre 400 selon le directeur général de la Coop, Alain Aspirault. « Nos membres préfèrent travailler en solo, ils sont jaloux de leur indépendance, explique-t-il. Mais quand on est seul, ça coûte plus cher. En se regroupant, on peut acheter en plus grande quantité, bénéficier de rabais, se protéger des monopoles et s’échanger des services. C’est la façon que nous avons trouvée pour nous assurer que notre pratique allait se faire à nos conditions. »

Soins de santé pour animaux

Combien coûtent
les interventions ?

Stérilisation : 300 $

Opération pour une fracture : 3000 $

Scanner : 800 $

Biopsie : 450 $

Opération aux deux hanches (TPO bilatérale) : 5500 à 6000 $

Traitement de chimiothérapie : jusqu’à 6000 $

Opération orthopédique : entre 2000 et 5000 $

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.