Chronique

Rideau de douche

Je n’ai jamais acheté de livre chez Walmart ni chez Costco. Je fais le gros de mon épicerie au Metro et j’achète mes gogosses électriques et mes rideaux de douche au Canadian Tire. Aurais-je acheté le Goncourt au Canadien Tire s’il le tenait ?

Absolument pas. Je n’achète pas mes livres dans les grandes surfaces pour la même raison que je n’achète pas mes chocolats chez Laura Secord. J’en entends qui protestent : mais qu’il est con ! Un livre n’est justement pas du chocolat, un livre est le même chez Costco qu’en librairie…

Je vois que vous ne savez pas ce qu’est une librairie. Presque tous mes livres achetés à la Librairie du Square ont un peu de Françoise, de Richard, de Lysane, de Laeticia, les libraires. J’en ai d’autres qui viennent de chez Coiffard à Nantes, de La Hune boulevard Saint-Germain et de L’écume des pages deux portes plus loin qui ne sont pas les mêmes, suivez-moi bien, qui ne sont les mêmes que les mêmes que j’eusse achetés chez Françoise. Alors au Walmart…

Les André Major viennent de chez Pantoute dans le Vieux-Québec. J’ai trouvé les Brautigan et les Fante dans un marché du livre à Skopje (Macédoine), je les avais déjà, mais la libraire était québécoise (et glorieusement rousse). En janvier dernier, j’ai ramené Voltaire de Bagdad…

Vous disiez quoi, déjà ? Ah oui, que les livres, c’est pas du chocolat, et moi je vous réponds que ce sont pas non plus des rideaux de douche.

Bon, c’était la mauvaise raison. La bonne maintenant. Je n’achète pas mes livres dans les grandes surfaces parce qu’elles font du livre un commerce honteux en appâtant le client avec le Goncourt à rabais pour ultimement le fourrer sur les gogosses électriques et les rideaux de douche.

C’est pour cela que j’appuie sans réserve le projet de réglementation du prix du livre présenté cette semaine par le ministre de la Culture. Je ne suis pas certain que cela aidera les librairies indépendantes, du moins cela empêchera les Walmart de se servir de la littérature pour vendre des rideaux de douche. Si vous me demandez à quoi sert la littérature, je ne suis pas certain de pouvoir vous répondre. Un truc est sûr pourtant : elle ne devrait pas servir à vendre des rideaux de douche.

Je ne crois pas que des librairies comme la mienne, comme Le Port de tête, comme L’Écume des jours, comme la librairie Outremont, Olivieri, Gallimard, j’en oublie sûrement, aient beaucoup à gagner de cette éventuelle réglementation. Celles-là ne vendent pas tant de Marie Laberge.

Celles qui ont le plus à gagner, ce sont les librairies qui souffrent le plus, actuellement, de la concurrence déloyale des grandes surfaces ; les bonnes librairies de province, par exemple. Je pense à l’instant à la Librairie Moderne, boulevard du Séminaire à Saint-Jean, mais aussi à Raffin, ce bijou de librairie de la Plaza Saint-Hubert. Le client y entre pour acheter le dernier Marie Laberge ou le dernier Kim Thúy, son œil accroche sur la table voisine la pile de Larry Tremblay, L’Orangeraie, ou le René-Daniel Dubois, Porte d’entrée, ou Le quatrième mur, ou le dernier Colum McCann, (Transatlantic), la libraire s’avancera, insistera sur le Larry Tremblay, émettra peut-être une réserve sur le McCann, le client repartira avec le Marie Laberge et avec Le quatrième mur. S’il était au Walmart, il en serait sorti avec le Marie Laberge et un rideau de douche.

Ce n’est pas toutes les lois qui sont aussi utiles.

Le python de Birmanie

Un soir de cette semaine, des cris effrayants sont montés de la cour comme si on y assassinait quelqu’un. C’était bien un assassinat. Nous nous sommes précipités : du pied de la galerie s’élevait un grand duc tenant une mouffette dans ses serres, il l’a lâchée quand nous nous sommes mis à crier et à taper des mains. La mouffette est allée se réfugier sous l’auto, laissant derrière elle une traînée de sang. Pas plus effrayé que ça, le grand duc s’est perché sur la traverse en haut du poteau de téléphone. Le grand duc est « un hibou énorme », rapporte mon livre d’oiseaux. Des aigrettes aux serres, celui-là devait faire pas loin d’un mètre de haut.

Mes lecteurs les plus urbains s’imaginent peut-être que je vis à l’orée de quelque sombre et menaçante forêt, mais non, je vis en bordure d’un petit bois de rien du tout, à une heure de Montréal. La mouffette est une pensionnaire régulière de ma ménagerie, elle a traîné tout l’été sous ma galerie, y cherchant des vers. Le grand duc aussi est un habitué, la nuit sur le poteau de téléphone et le jour, de l’autre côté du chemin d’où il lance ses hou-hou-hou.

La dernière fois que je vous ai parlé des bestioles de ma cour, je vous disais que je n’avais pas entendu les coyotes de l’été. Avertis je ne sais comment qu’on disait dans La Presse qu’ils étaient en voie d’extinction, ils se sont dépêchés de me donner un concert le soir même.

Bref, c’est beaucoup de ma cour et de ma ménagerie qu’il est question dans le long reportage qui fait la couverture du dernier numéro du Time –  le titre : America Pest Problem –  et non, ce n’est pas la punaise, la peste de l’Amérique, c’est le chevreuil, Bambi lui-même, qui cause plus d’un million d’accidents par année. C’est aussi le raton, dont la population a augmenté de 2700 pour cent en quelques décennies ; le castor, l’ours noir qui a envahi le New Jersey ; cinq millions de cochons sauvages qui causent pour un milliard et demi de dégâts par année au Texas, en Oklahoma et en remontant jusqu’à l’Indiana ; l’alligator qui sort de son marais pour aller se vautrer sur le bord des piscines, et même le python de Birmanie, qui a disparu de Birmanie mais qui pullule dans le sud de la Floride. « Time to cull the herd », dit le reportage, il faut réduire le troupeau.

Fiancée, qu’est-ce tu dirais si j’achetais un fusil ?

Je connais tellement la réponse. C’est elle ou le fusil. C’est elle et les ratons et les coyotes et les mouffettes et les porcs-épics et les grands ducs et les coccinelles… et les huit chats.

Je me suis quand même fixé une limite : le python de Birmanie.

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