Azzeddine Soufiane

Le héros

« C’est lui qui a tout essayé pour arrêter le tireur à la mosquée et protéger ses compatriotes musulmans. C’est un héros. » C’est fidèle à lui-même qu’Azzeddine Soufiane serait mort, dimanche. Le boucher décrit de toutes parts comme un homme de cœur aurait perdu la vie en tentant de protéger les siens.

« Il s’est jeté sur [le tireur] pour ne pas faire trop de blessés et de morts. Il a essayé d’empêcher le massacre », a rapporté un animateur à la radio communautaire, Habid Garrouma, au sujet d’Azzeddine Soufiane, propriétaire de la boucherie halal Assalam, située sur le chemin Sainte-Foy.

Dimanche soir, le destin du père de famille a voulu qu’il se trouve à la grande mosquée pour la prière du soir. Il a évité d’être dans la trajectoire des coups de feu, mais un certain nombre de témoins rapportent qu’il est mort en tentant de s’interposer.

« M. Azzeddine a aperçu le tireur et au moment où ce dernier se préparait pour recharger son pistolet, Azzeddine a pris l’initiative pour l’arrêter », a raconté Hamza Chaoui. « C’est à ce moment que le terroriste a pu tirer sur lui. Une fois par terre, il tira encore sur lui », a rapporté M. Chaoui, qui n’était pas personnellement sur place, mais qui s’est fait raconter la scène par un ami qui a assisté au massacre.

« On ne sait rien »

En après-midi, hier, la femme de M. Soufiane n’avait toujours pas reçu la confirmation officielle du décès du père de ses trois enfants de 6, 12 et 16 ans. Dans son modeste appartement de Sainte-Foy, un groupe de femmes l’entourait pour la consoler. En soirée, la famille élargie devait prendre le relais.

« On va aller visiter sa femme et consoler les enfants. On va voir ce qu’on peut faire pour préparer la soirée funéraire », a dit Saïd Soufiane, neveu de la victime, en après-midi. Il attendait alors que son frère de Montréal le rejoigne à Québec, puis avec leurs trois autres frères, ils allaient se rendre à la maison de leur défunt oncle de 57 ans.

« On est désorientés, on ne sait rien de plus sur sa mort que ce qui est écrit sur internet. Je n’y croyais pas. Je suis passé devant le magasin et tout était fermé », a-t-il confié, visiblement secoué. Des gerbes de fleurs avaient été déposées devant la porte de la boucherie Assalam.

« C’était une bonne personne. Les gens entraient dans son commerce et on pouvait boire un verre de thé à la menthe et parler longuement de tout et de rien. Parfois, on repartait même sans payer.  » 

— Saïd Soufiane, neveu d'Azzeddine Soufiane

« C’était mon oncle, on était des amis, on sortait ensemble… », a-t-il commencé à énumérer, avant de prendre une pause marquée par l’émotion. Les deux hommes partageaient un lien privilégié. Il y a 15 ans, le neveu travaillait pour son oncle à l’Épicerie Myrand Internationale. Depuis, Saïd était devenu boucher dans un supermarché IGA de Québec et son oncle avait ouvert la boucherie Assalam, chemin Sainte-Foy. Hier, anéanti par les événements, Saïd n’a pas enfilé son tablier.

« Je ne peux pas… je ne peux pas travailler aujourd’hui. Je vis beaucoup de tristesse. C’est aussi une déception parce que le Québec que j’ai connu et que j’ai aimé, ce n’est pas ça. Dans les pires pays, les pires racistes, on n’entend pas ces nouvelles-là. On est au Québec, pas en Europe fasciste », a-t-il laissé tomber avant d’ajouter que « la majorité des Québécois sont extraordinaires » et qu’ils « partagent l’espoir du vivre ensemble ».

Le pilier de la communauté

Azzeddine Soufiane était l’un des piliers du Centre culturel islamique de Québec. « Il était très aimé et très respecté ici », a souligné le président de la mosquée, Mohammed Yangui. Des propos secondés par Hamza Chaoui, qui le connaissait depuis une décennie.

« Il était un homme de principe et de tolérance, il aimait tout le monde et tout le monde l’aimait, il était un bon musulman et un bon modèle à suivre, a confié M. Chaoui. Il était connu pour sa bonne moralité et son bon comportement modeste. Il était une personne très respectueuse, serviable et généreuse, on ne sait de lui que du bien. »

L’homme d’origine marocaine est arrivé au Québec il y a près de 30 ans. L’épicier était passionné de géologie et avait entrepris un doctorat à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) sur l’étude de la croûte terrestre en Nouvelle-Écosse, dans l’Arctique canadien et dans l’île d’Anticosti. Dans un portrait réalisé sur lui par Le Soleil en 2002, il s’était confié sur sa vie dans une ville sans quartiers culturels distinctifs.

« Du moment qu’il y a des ghettos, tu crées deux mondes, tu te sens à part », avait-il confié à l’époque, appréciant l’absence de quartiers chinois, italien ou arabe à Québec.

— Avec Gabrielle Duchaine, Isabelle Hachey, Katia Gagnon et Kathleen Lévesque

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