CHRONIQUE

Le ménage des chambres ? Pas si vite !

Le grand ménage des chambres ? S’il est question de mes ados, je suis d’accord à 100 %. Mais s’il est question de services financiers, je suis vraiment inquiète.

Discrètement, au printemps dernier, Québec a lancé une consultation d’envergure qui risque de mettre sens dessus dessous la Chambre de la sécurité financière (CSF) et la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) tout en donnant le feu vert à la vente de produits d’assurance sur l’internet.

C’est du sérieux. Pourtant, le gouvernement a amorcé cette réforme d’une drôle de manière.

D’abord, Québec a soumis son rapport à la sauvette, une heure avant que l’Assemblée nationale ne parte en vacances estivales. Les intervenants qui devaient remettre leur mémoire cette semaine au plus tard ont pédalé tout l’été pour soumettre leur opinion à temps.

Pourquoi une réforme aussi précipitée ? Où est l’urgence ?

La facture même du document de consultation a fait sourciller encore plus. Le document, qui rassemble une collection de demandes de groupes de pression, ne fait pas le tour complet des enjeux sur la distribution des produits financiers, comme on aurait pu s’y attendre. Pas de bilan documenté du système en place. Rien sur les problèmes qui touchent le public.

En fait, le gouvernement semble surtout soucieux d’harmoniser et d’alléger le fardeau réglementaire des entreprises. La protection des consommateurs est reléguée au second plan.

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De quoi parle-t-on exactement ?

Entre autres, Québec songe à retirer à la Chambre de la sécurité financière l’encadrement des courtiers en épargnes collectives (spécialistes de la vente de fonds communs) pour confier ce mandat à l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM), comme c’est le cas ailleurs au Canada.

Évidemment, une harmonisation pancanadienne plairait aux grandes sociétés présentes d’un océan à l’autre. Mais pas aux entreprises purement québécoises de moindre envergure, qui paieraient cher pour revoir leurs procédés, juste pour faire plaisir aux acteurs importants.

Et en démantelant la CSF, on ferait une croix sur le principe de la multidisciplinarité, qui était l’objectif même de la création de la Chambre il y a plus de 15 ans. Comme la CSF supervise les représentants de différents domaines (fonds communs, assurance, plans de bourse, etc.), elle fait office de guichet unique pour le consommateur. Un gros avantage, d’autant que de nombreux représentants portent plusieurs casquettes.

Au lieu de s’en remettre à un organisme de Toronto, une vieille idée qui refait constamment surface depuis 10 ans, il vaudrait mieux harmoniser les règles québécoises à celles de l’ACFM.

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Québec évoque aussi la possibilité d’intégrer les activités des Chambres à l’intérieur de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour éviter les dédoublements.

Ici encore, l’industrie applaudit. Pour le Bureau d’assurance du Canada (BAC), cela éviterait les incohérences, car les assureurs et leurs employés seraient encadrés par le même organisme, qui agirait comme un guichet unique.

Mais le double encadrement est un mythe, selon la ChAD. « L’AMF et la ChAD ont toutes deux des missions qui visent la protection du public, mais avec des pouvoirs distincts bien définis. Il n’y a pas de chevauchement de juridiction », martèle son mémoire.

Si le mandat était entièrement confié à l’AMF, un organisme gouvernemental où les employés ont des conditions de travail plus généreuses, l’encadrement finirait par coûter plus cher aux contribuables.

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Surtout, le modèle actuel améliore la protection du public en responsabilisant à la fois les cabinets et leurs représentants, qui doivent respecter le code de déontologie de leur chambre.

Dans son rapport, Québec juge pourtant que cela pose problème : « Comme le cabinet est responsable des actes de ses représentants, il en découle qu’il doit pouvoir leur imposer des pratiques et des politiques. On peut alors se retrouver dans une situation où ces pratiques ou politiques contreviennent à son code de déontologie. »

Personnellement, ça me fait peur ! Tant mieux si les codes de déontologie sont un rempart contre les visées du cabinet. C’est la preuve qu’ils sont utiles. En les éliminant, on nivellerait par le bas. Rien de bon pour les consommateurs.

Paradoxalement, cette idée de démembrer les chambres va à contre-courant de ce qui se passe dans les autres provinces.

Récemment, la Vérificatrice générale de l’Ontario a conseillé de donner plus de responsabilités aux organismes d’autoréglementation pour améliorer la protection du public. La Commission des services financiers de l’Ontario mène actuellement des consultations en ce sens.

Il serait ironique que le Québec recule alors que son voisin s’apprête à le rattraper !

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Enfin, Québec ouvre aussi la porte à la vente de produits d’assurance par internet. Cela pose un risque accru pour le public.

Déjà, la vente de produits d’assurance sans représentant (exemples : assurance voyage, assurance solde carte de crédit, etc.) est un univers où les intermédiaires se paient de grasses commissions. Plusieurs États américains sont même intervenus pour les limiter.

Trop souvent, ces assurances sont vendues sous pression, sans égard pour les besoins du client. Trop souvent, la réclamation du client est refusée, à cause de toutes sortes d’exclusions mal expliquées au départ.

On n’aidera pas le public en poursuivant dans cette direction.

Mais l’industrie aimerait avoir les règles les plus souples et les plus flexibles possible pour vendre de l’assurance sur l’internet. Or, l’assurance est tout, sauf souple et flexible ! Au contraire, il s’agit de produits contraignants dans lesquels on s’engage à très long terme, quand ce n’est pas pour la vie.

L’assurance est un univers complexe que la majorité des consommateurs a du mal à déchiffrer. Si un client fait un mauvais choix, il doit généralement payer des pénalités extrêmement élevées pour annuler son contrat. Et si le client réalise qu’il est mal couvert au moment du sinistre, il est alors trop tard pour revenir en arrière.

Prudence, prudence.

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