Portfolio Employeurs de choix

Vers un leadership horizontal

Les gestionnaires sont débordés. Leurs employés, notamment ceux des générations X et Y, sont informés et en quête d’ouverture et de transversalité. Les bases sont jetées pour laisser éclater une révolution déjà en marche : le « leadership C », que la firme Aon Hewitt voit apparaître depuis quelques années dans les entreprises canadiennes. Le point sur la tendance de l’heure à l’occasion de la publication du 15e palmarès des employeurs de choix publié par le cabinet.

Hélène est reconnue pour ses compétences en animation. Pierre, lui, souhaite progresser dans ce domaine. D’ordinaire, son chef aurait pris sa formation en main. Aujourd’hui débordés, les gestionnaires ont tendance à déléguer cette tâche… à Pierre et à Hélène.

La verticalité du transfert de connaissances et de compétences est en régression dans les entreprises canadiennes. « Les employés ont beaucoup d’atouts. Il faut les responsabiliser quant à leur progression et ne plus gérer le savoir de façon verticale mais bien plutôt horizontale », explique Andrée Mercier, vice-présidente talents chez Aon Hewitt et experte en mobilisation et leadership.

La firme Aon Hewitt décrit un nouveau phénomène qu’elle a nommé le « leadership C ». « C pour connecté, collectif, catalyseur, collaboration, compétences, communication, contact… », énumère Andrée Mercier. Ce nouveau leadership est plus transversal et fait résolument plus confiance à ses employés. Ce que ceux des générations X et Y en particulier adorent. « On se rend compte qu’Hélène, dans notre exemple, est flattée de se voir confier le soin de transmettre ses compétences en animation à Pierre », explique la vice-présidente.

Une révolution en marche

Le terrain des entreprises semble prêt à ce changement. Non seulement 38 % des employés interrogés disent qu’ils ne sont pas utilisés à leur plein potentiel, mais, en plus, ils savent généralement dans quels domaines ils doivent progresser pour avancer dans l’entreprise (65 % connaissent les prérequis). « C’est épouvantable que près de 40 % des employés ne voient pas leur potentiel optimisé, qu’on ne demande pas le maximum à autant de gens », s’exclame Andrée Mercier.

De plus, moins de la moitié des employés considère que la collaboration entre les groupes de travail dans l’entreprise est efficace. Dans ce contexte, mettre les travailleurs en contact pour qu’ils opèrent le transfert de leurs compétences aux autres en plus, d’améliorer la circulation de l’information dans l’entreprise et d’assurer une meilleure collaboration entre les services. Sans conteste, un gage d’efficacité et de meilleure productivité.

« Il faut faire tomber toutes les barrières, les silos, lance Andrée Mercier. C’est le pouvoir et le rôle du dirigeant catalyseur qu’est le leader C : il peut ouvrir les portes et mettre en contact les employés. » La technologie est une puissante arme au service du leadership C : réseau intranet ou programme de réseautage en ligne en interne aident les gens à se connecter et à communiquer entre eux. « Une fois le réseau créé, les gens commencent à se faire confiance et à s’entraider », souligne Andrée Mercier.

Le phénomène dans les entreprises émerge. Simon Nadeau, formateur de longue date et fondateur de HybFormation, une entreprise en formation virtuelle, le constate aussi. « La tendance lourde est à la formation informelle, explique le professionnel, avec la mise sur pied, souvent, de communautés de pratique dans les sociétés : un groupe de professionnels échange autour d’un thème. » Et se forment les uns les autres par le transfert de différentes compétences. Ce qu’Andrée Mercier appelle le « codéveloppement ».

Mais garder le contrôle

Le gestionnaire est débordé et pourrait donc déléguer à ses employés la responsabilité de se former. Soit. Il gagnerait du temps et, finalement, l’entreprise n’en retirerait que des avantages en termes d’efficacité et de cohésion des travailleurs, qui se mettraient à travailler réellement ensemble.

Mais ces gestionnaires sont-ils prêts à prendre le virage ? « Même si le tournant vers le leadership C est bien amorcé dans les entreprises canadiennes, la transition va durer le temps que la génération Y soit plus présente », estime Andrée Mercier.

La génération Y serait en effet plus réceptive à ces nouveaux modes de management « démocratisés ». Une génération que le penseur français Michel Serres décrit ainsi dans son livre Petite Poucette : « On assiste à l’avènement d’un nouvel humain, né de l’essor des technologies, "Petite Poucette", l’enfant de l'internet et du téléphone mobile. » Une révolution qui bouleverse les relations du travail, entre autres. « Nous disons que l’autorité est en crise parce que nous passons d’une société hiérarchique, verticale, à une société plus transversale, notamment grâce aux réseaux comme l'internet, souligne Michel Serrres dans son livre. Tout ne coule plus du haut vers le bas, de celui qui sait vers l’ignorant. » Mais entre pairs.

C’est pour cela que le leadership C pourrait être la voie de l’avenir. À une condition : « Il faut garder le contrôle », affirme Andrée Mercier. « Le problème, c’est que parfois, dans les communautés de pratique, il manque des compétences, observe Simon Nadeau. Il est essentiel de s’assurer que les compétences transmises sont bien à jour. »

L’enjeu est de laisser les talents s’exprimer et les employés se responsabiliser, mais avec un minimum de cadres, de garde-fous, de façon à garantir la qualité des apprentissages, et de s’assurer que l’orientation prise coïncide bien avec les objectifs de l’entreprise.

Des contraintes que les employeurs ont bien en tête. « Le défi, c’est que les organisations ont peur des dérives. Les gestionnaires doivent mettre des balises. Leur rôle par rapport à ça ne change pas. Ils doivent imposer des résultats à leurs employés. » Déléguer, oui, se déresponsabiliser, non. Les gestionnaires devraient donc être rassurés sur la pérennité de leur place et de leur autorité. Leur reste à devenir un leader C.

*Établi selon les données de près de 280 000 employés et gestionnaires de 282 organisations participantes des secteurs privé et public.

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