Arts visuels  Jordan Broadworth 

L’évocateur à petits pas 

Originaire de l’Ontario, Jordan Broadworth peint depuis une vingtaine d’années. Établi à New York, il présente jusqu’au 12 octobre à la galerie BAC une vingtaine de ses dernières abstractions, des œuvres à la technique complexe requérant une patience à la limite de l’austérité. 

Sa peinture est à nulle autre pareille. À première vue, elle rappelle ces tartans écossais multicolores où s’entrecroisent lignes horizontales et verticales. À y regarder de plus près, l’écran numérique et la pixellisation semblent s’imposer. Mais l’expliquer ainsi serait trop réducteur. Depuis une dizaine d’années, Jordan Broadworth s’attache en effet à brouiller les pistes, à se compliquer la tâche, à jouer sur les textures, les couleurs et la profondeur et à jongler avec la variable du temps. Sa peinture – que l’expert montréalais James D. Campbell qualifie d’« abstraction télématique » – est d’abord devenue une étude stricte et résolue de l’arrière-plan (le background), et ce, dans chacune de ses toiles. 

« Comme être humain, nous avons évolué en donnant plus d’importance à la figure, à ce qui est au premier plan, dit-il en entretien. J'ai mis du temps à faire en sorte que j’aille de la surface à ce qui est en profondeur et ainsi à toucher à la notion de hiérarchie. » L’artiste s’est approprié une méthode créative qui utilise presque systématiquement un quadrillage de base puis des pigments plus ou moins humidifiés qui vont s’insérer dans ce treillis qu’il élabore patiemment. Il racle la peinture en plusieurs phases, la laissant plus ou moins sécher, pour finalement laisser se sédimenter des traces de chacune de ses interventions, ce qui permet de faire ressortir l’arrière-plan. Cela donne des huiles sur toile ou sur papier Mylar qui semblent appartenir à une même famille, mais qui ont chacune leur histoire. Le relief est très peu tridimensionnel, puisque les couches de peinture superposées sont ultrafines. 

On sent alors dans ses toiles une tension, une passion également, le calme travail du relieur, de l’orfèvre ou du calligraphe, une façon de faire proche de l’artisan qui cherche à petits pas la voie de cet objet unique qui parle de soi. 

Les œuvres ont une base géométrique, bien sûr, mais les brossages en coups de fouet, les ajouts de lignes obliques et ces interventions finales qui consistent à recouvrir l’œuvre, ici et là, d’une peinture sombre recyclée chaque fois, tout conduit l’œil à percevoir des formes évocatrices et fantomatiques. Car avec sa technique ascétique qui se marie avec le temps, on finit par deviner derrière les traits et les élancements une inspiration provenant du lieu habité. 

« Tous les jours, je traverse à pied le pont Queensboro pour me rendre à mon atelier, confirme-t-il. Les diagonales d’acier du pont comme d’autres éléments de mon environnement, les graffitis et les tags, par exemple, finissent par s’insérer dans mon travail. » 

Après Montréal, Jordan Broadworth exposera au General Hardware Contemporary, à Toronto, au printemps prochain. 

Jordan Broadworth : peintures. Jusqu’au 12 octobre, à la galerie BAC.

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