I Am Not Your Negro

Relire Baldwin

Le film I Am Not Your Negro de Raoul Peck, finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur documentaire, remet de l’avant la parole de l’écrivain James Baldwin (1924-1987), figure incontournable de la littérature américaine et du mouvement pour les droits civiques. Cinq suggestions de lecture pour revisiter l’œuvre de l’un des meilleurs penseurs de la question raciale aux États-Unis.

La conversion (Go Tell It on the Mountain, 1953)

Né en 1924 dans le quartier pauvre de Harlem, James Baldwin fait face à l’adversité dès le départ. Il est noir dans un pays ségrégationniste, il est un « bâtard », ne connaissant pas l’identité de son père biologique, il a de mauvaises relations avec son père adoptif prédicateur, et il est… homosexuel.

Ces multiples ostracismes contribueront pour beaucoup à son exil volontaire en France. La conversion, son premier roman vaguement autobiographique, l’un des premiers aussi à parler de la condition des Noirs américains, raconte l’histoire de John Grimes, un adolescent qui grandit à Harlem dans l’ombre d’un père pasteur violent, et l’écrasement psychologique de la religion. Tenté dans sa jeunesse par la prêtrise, Baldwin sera désillusionné par l’Église en raison de son orientation sexuelle. L’écrivain sera l’un des rares à son époque à aborder la bisexualité, dans son roman La chambre de Giovanni, publié en 1956.

Personne ne sait mon nom (Nobody Knows My Name, 1961)

James Baldwin se fera beaucoup connaître par ses essais, d’une immense pertinence intellectuelle, alors qu’il décide de plonger dans le bouillonnement du mouvement des droits civiques dans les années 60. Toni Morrison, Prix Nobel de littérature, a toujours honoré sa dette envers Baldwin, qui a été capital dans sa vocation d’écrivaine.

Après Chronique d’un pays natal, publié en 1955, il publie Personne ne sait mon nom, ce titre faisant référence au fait que la plupart des Noirs américains portent un nom d’esclave, leurs origines ayant été détruites dans le crime originel de l’esclavage. Baldwin profite de la distance de sa vie en Europe pour analyser l’Amérique, les relations entre les Noirs et les Blancs, fait les portraits de Richard Wright, Norman Mailer et Faulkner et décrit le Harlem qu’il connaît sans concession. « Sa force réside dans cet effort désespéré de comprendre l’autre », a déjà écrit Dany Laferrière, grand lecteur de Baldwin.

La prochaine fois, le feu (Fire Next Time, 1963)

Alors que les émeutes raciales se multiplient, James Baldwin publie cet essai percutant, qui tente un ultime compromis entre les extrêmes. Mais ne nous y trompons pas, c’est aussi un pamphlet contre les rapports de domination de la société américaine qui sont tous dirigés contre les Noirs.

Cela commence magistralement par une lettre à son neveu « à l’occasion du centenaire de l’Émancipation », dans laquelle il lui dit, à propos de son père (frère de Baldwin) : « Il avait perdu la partie, longtemps avant de mourir, parce que, au fond de son cœur, il croyait vraiment ce que les Blancs disaient de lui. » Plus loin dans cette lettre, il lance cet appel : « Si le mot intégration a le moindre sens, c’est celui-ci : Nous, à force d’amour, obligerons nos frères à se voir tels qu’ils sont, à cesser de fuir la réalité et à commencer à la changer. […] Nous ne serons libres que le jour où les autres le seront. »

Nous, les nègres, entretiens avec Kenneth B. Clark (1963)

Pour bien comprendre les différentes visions de l’émancipation des Noirs américains, il faut lire cette retranscription d’une entrevue célèbre, menée par Kenneth B. Clark en mai 1963 à la télévision de Boston, avec trois leaders du mouvement des droits civiques : James Baldwin, Martin Luther King et Malcolm X.

Entre la non-violence de Luther King et la colère de Malcolm X, Baldwin semble être la voix du milieu. Dans un texte inachevé que nous découvrons dans le documentaire de Raoul Peck, Baldwin souligne qu’à la fin de leurs vies, avant leurs assassinats alors qu’ils n’avaient même pas 40 ans, les deux leaders étaient presque arrivés aux mêmes positions. La violence aura fauché cette réconciliation qui aurait pu changer le cours de l’histoire américaine.

Face à l’homme blanc (Going to Meet the Man, 1965)

Dans ce recueil de nouvelles, James Baldwin attaque l’hypocrisie de la démocratie américaine, et dépeint la difficulté d’être noir en Amérique en abordant des sujets comme le racisme, bien sûr, mais aussi le jazz, la drogue, les relations familiales, les suprémacistes blancs, la justice criminelle, la difficulté de retourner dans la violence des États-Unis…

James Baldwin publiera encore plusieurs livres dans les années 70 – notamment Chassés de la lumière et Harlem Quartet –, moins remarqués après la fin des grands combats des années 60 et les assassinats des plus importants leaders noirs. L’écrivain s’éteindra en France, emporté par un cancer, en 1987. Après un certain purgatoire, son œuvre est de plus en plus citée et revisitée par une nouvelle génération qui doit reprendre le flambeau là où il l’a laissé.

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