Chronique

La bombe à retardement du CELI

Tic, tac, tic, tac. Le populaire compte d’épargne libre d’impôt (CELI) est une bombe à retardement qui risque de miner nos finances publiques et de mettre en péril les services à la population. Doubler le plafond de cotisation annuelle comme les conservateurs l’ont déjà promis ne servira qu’aux riches.

Deux études publiées hier ont dressé un portrait inquiétant du CELI dans le futur. Et pas n’importe quelles études.

La première, diffusée par l’Institut Broadbent, a été rédigée par Rhys Kesselman, un réputé professeur de l’Université Simon Fraser qui est le père spirituel du CELI. En 2001, l’économiste avait signé une étude qui a inspiré la création du CELI en 2009.

La seconde est venue du directeur parlementaire du budget (DPB) qui a pour mandat de présenter une analyse indépendante sur l’état des finances du pays.

Toutes deux arrivent à la même conclusion : le CELI est coûteux et régressif.

Le CELI est même pire que le fractionnement du revenu accordé aux familles (qui coûtera 2 milliards de dollars et ne profitera qu’à 15 % des contribuables), qui a été vertement critiqué tant par la gauche que par la droite, et même par l’ancien ministre des Finances Jim Flaherty.

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Jusqu’ici, le CELI n’a pas essuyé trop de critiques, car les coûts du programme naissant demeurent encore limités… un peu comme un bébé qui ne boit que du lait, mais qui deviendra un ado capable de vider le frigo en un après-midi !

En 2015, le CELI devrait priver l’État de 1,3 milliard de dollars, ce qui représente 0,06 % du produit intérieur brut (PIB).

Les deux tiers des coûts sont assumés par Ottawa (860 millions) et le tiers par les provinces (430 millions).

Dans cinq ans seulement, les coûts du CELI auront doublé, totalisant 2,8 milliards en 2020. Et d’ici 2080, les coûts du CELI auront été multipliés par 10. Ils représenteront alors près de 0,6 % du PIB, évalue le DPB.

Ce n’est rien. Si on doublait le plafond annuel du CELI (de 5500 $ aujourd’hui à 11 000 $ en 2016), les coûts du programme bondiraient d’un tiers à long terme.

Cette croissance exponentielle des coûts du CELI contraste vivement avec les autres dépenses fédérales qui sont relativement stables, en proportion du PIB.

Souvenez-vous que, pour contenir les coûts de la pension de la Sécurité de la vieillesse, Ottawa a repoussé l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, même si l’actuaire en chef du Canada ne jugeait pas cela nécessaire. Ce sont les personnes à faibles revenus qui souffriront le plus de cette réforme. Dommage.

N’est-il pas surprenant que le gouvernement soit prêt maintenant à accorder un allégement fiscal dont les coûts vont exploser à long terme ?

Sans compter que les provinces risquent d’être forcées d’emboîter le pas, même si elles n’ont pas les moyens d’offrir des cadeaux aux particuliers. Bien au contraire, Québec cherche par tous les moyens à boucler son budget. Devra-t-on faire des coupes dans les écoles ? Dans la santé ? Dans les infrastructures ? J’aime mieux ne pas y penser.

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Mais pourquoi hausser le plafond du CELI ? La grande majorité des Canadiens ont déjà assez d’espace à l’abri de l’impôt.

En cotisant au maximum au CELI et au REER durant toute leur carrière, les travailleurs qui gagnent moins de 200 000 $ se retrouveraient avec des revenus de retraite carrément supérieurs à leur salaire durant leur vie active, calcule l’Institut Broadbent.

Clairement, ce n’est pas l’espace à l’abri de l’impôt qui manque ! D’ailleurs, à peine un Canadien sur six (âgé de moins de 60 ans) a rempli son CELI. Une hausse du plafond ne serait donc d’aucune utilité pour la grande majorité des épargnants.

En fait, la hausse du plafond profiterait surtout aux très riches. Les ménages au patrimoine élevé verraient leur revenu après impôts augmenter de 4 % en 2060, soit 10 fois plus que les ménages à faible patrimoine, estime le DPB.

Cela réduirait la progressivité de notre système fiscal. Or, l’impôt doit servir à réduire l’écart entre les riches et les pauvres, lequel augmente sans cesse. Pas l’inverse !

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Tout cela soulève des questionnements. Que devrait-on faire du CELI ? Devrait-on fermer la porte aux personnes à revenus très élevés, comme aux États-Unis ? Ce serait un changement pour le moins radical.

Un plafond à vie serait-il préférable ? Par exemple, un plafond de 100 000 $ par personne ferait doubler les coûts du CELI à court terme, mais les réduirait de 30 % à plus long terme, évalue le DPB.

Cela donnerait plus d’espace aux aînés qui sont désavantagés par rapport aux jeunes qui ont toute leur vie pour cotiser à leur CELI.

Mais cela n’empêcherait pas les investisseurs audacieux d’accumuler des sommes mirobolantes à l’abri du fisc. En investissant dans des actions à haut risque, certains se retrouvent avec un demi-million dans leur CELI, même s’ils n’ont pas pu y cotiser davantage que 36 500 $. Ils peuvent sortir tout cet argent sans payer un cent d’impôt. Un cadeau déraisonnable.

Pour éviter ce genre de dérives, il y aurait lieu de limiter les actifs pouvant être détenus dans le CELI (ex. : 800 000 $). Au-delà de ce seuil, les contributions additionnelles seraient interdites, et les revenus excédentaires seraient imposés.

L’Institut Broadbent ouvre aussi la porte à une limite REER/CELI combinée. Les quelque 22 millions de Canadiens qui ont de l’espace de cotisation REER inutilisé pourraient ainsi « acheter » de l’espace de cotisation CELI.

Cela permettrait notamment à des travailleurs à faibles revenus d’utiliser davantage le CELI que le REER qui peut avoir de fâcheuses conséquences pour eux au moment des retraits.

C’est un pensez-y-bien.

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