Entrevue avec Graeme Smith

Une décennie perdue en Afghanistan

Dans son nouveau livre The Dogs Are Eating Them Now, Graeme Smith, correspondant du Globe and Mail en Afghanistan de 2006 à 2009, raconte la descente aux enfers du pays que l’Ouest était censé sauver. Conversation avec un Canadien qui a fait de l’Afghanistan son pays d’adoption.

Q. Votre constat est clair : les troupes occidentales ont perdu la guerre dans le sud de l’Afghanistan. Dans votre livre, vous écrivez : «  Nous avons tous failli à la tâche de réaliser à quel point la résistance des Afghans serait grande. »

R. Si vous êtes assis dans une salle de conférence à Washington ou à Ottawa, le projet d’aller en Afghanistan pour donner aux gens de la sécurité, construire des écoles et remplacer la culture du pavot par une économie réelle vous semble merveilleux. C’est impossible d’imaginer un scénario où des gens refuseraient une telle offre. Pourtant, les Afghans sont comme tout le monde : ils résistent d’instinct aux gens qui débarquent chez eux avec des fusils. Dans le sud du pays, nous avons brûlé des champs de pavot sans créer d’économie de rechange. Ça n’a pas été apprécié… Si nous avions été invités en Afghanistan, ç’aurait été différent. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit.

Q. Vous étiez à bord d’un véhicule militaire blindé, en route vers un point de presse où les membres haut placés de l’OTAN allaient annoncer la prise de contrôle d’un secteur près de Kandahar, quand votre convoi a été attaqué dans un attentat suicide qui a tué quatre civils… Et le point de presse a eu lieu.

R. C’était une situation absurde. C’est difficile de dire si ces conférences étaient de la propagande, ou simplement une mauvaise lecture de la situation. Les militaires savaient que les citoyens occidentaux n’appuyaient pas leur mission à 100 %, et il y avait de la pression pour produire des résultats. Or, chaque fois qu’il y a eu une augmentation des troupes en Afghanistan, on a vu une hausse de la violence. Année après année après année. On trouve encore des vétérans aux États-Unis qui affirment que la guerre du Viêtnam aurait pu être gagnée si seulement le public américain avait mieux soutenu les troupes…

Q. Et vous notez que les insurgés qui prennent les armes sont souvent motivés par des luttes tribales, ou par les dommages collatéraux des bombardements de l’OTAN.

R. Je crois que nous avons sous-estimé l’effet des bombardements et des raids sur les civils afghans. Nous nous voyions comme les « bons », donc nos erreurs n’étaient pas importantes. Nous avons rectifié le tir, heureusement. Mais aujourd’hui, les forces afghanes contrôlent de grandes parties du pays, sans la supervision de l’OTAN. C’est bien, mais il faut s’assurer qu’il n’y ait pas de comportements de prédation.

Q. Les militaires de l’OTAN ont commencé à quitter l’Afghanistan et les troupes de combats doivent se retirer l’an prochain. Comment se passe la transition jusqu’ici ?

R. Bien des commentateurs prédisaient que l’armée afghane laisserait le pays aux talibans. Or, ce n’est pas ce qui se produit. Contre toute attente, l’armée afghane se bat très courageusement. La Police douanière d’Afghanistan (ACP), notamment, se bat férocement. Les policiers meurent à un rythme quatre fois plus élevé que l’an dernier. Ils perdent des hommes à une cadence qui s’apparente au débarquement de Normandie. Ce n’est pas rien.

Ce qui arrive ensuite ? L’anarchie ? La guerre civile ? Je ne sais pas.

Après une décennie de conflits, nous n’avons rien réglé, ce qui en soi est troublant. Je crois que nous, les Occidentaux, avons maintenant une responsabilité en Afghanistan. C’est notre devoir d’offrir une aide non militaire, d’essayer de rendre les choses moins mauvaises.

Q. Vous avez quitté le Globe and Mail pour devenir chercheur à Kaboul pour l’International Crisis Group (ICG), comité d'experts de Washington. Pourquoi ce changement de carrière ?

R. Je voulais continuer à travailler à l’étranger. Je suis très reconnaissant au Globe de m’avoir envoyé en Afghanistan de 2006 à 2009. Mais, ensuite, le Globe voulait me faire travailler à Toronto, et ça ne m’intéressait pas. L’avantage avec l’International Crisis Group, c’est qu’ils ont des budgets de recherche importants, le double ou le triple de ce que pouvait verser le Globe and Mail durant les meilleures années. Ça permet de faire un travail terrain de longue haleine.

Q. Comment est la vie à Kaboul ces jours-ci ? C’est sûr ?

R. Pas tellement ! Mon voisin s’est fait enlever il n’y a pas si longtemps… Cela dit, les talibans ne sont pas aux portes de la ville, et ça va rester ainsi. Sinon, nous avons de l’électricité 80 % du temps, ce qui est une agréable surprise. Nous sommes un bon groupe d’expatriés à vivre à Kaboul. Nous suivons des cours de yoga, et ils donnent même des leçons de tango à l’ambassade du Canada.

Troupes de l’OTAN en Afghanistan (2013) : 70 000

Troupes de l’OTAN en Afghanistan (2014) : 34 000

1700 POLICIERS TUÉS

Plus de 1700 policiers afghans ont été tués depuis le mois de mars. C’est le nombre total de policiers tués durant l’année 2012, selon un calcul de Reuters. Le gouvernement afghan ne diffuse pas ce type de données.

Entrevue avec Graeme Smith

Une décennie perdue en Ahgnanistan

Troupes de l’OTAN en Afghanistan (2013) : 70 000

Troupes de l’OTAN en Afghanistan (2014) : 34 000

1700 POLICIERS TUÉS

Plus de 1700 policiers afghans ont été tués depuis le mois de mars. C’est le nombre total de policiers tués durant l’année 2012, selon un calcul de Reuters. Le gouvernement afghan ne diffuse pas ce type de données.

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