Opinion

Trump donne des ailes aux pro-vie

En 1974, lorsque Simone Veil, ministre de la Santé sous Valéry Giscard d’Estaing, est montée à la tribune de l’Assemblée nationale française pour défendre son projet de loi sur la légalisation de l’avortement, seulement 8 des 490 députés étaient des femmes. Même si l’histoire parle d’un discours nuancé et empreint de sensibilité, l’adversité n’a pas tardé à frapper.

Les trois jours de débats ont été trois jours de violence envers la ministre Veil. Un député de l’opposition poussera même la méchanceté jusqu’à dire à la ministre, qui était une survivante des camps de concentration nazis, qu’elle ne proposait rien de moins que l’on jette des embryons humains dans des fours crématoires.

Mais entre le vice-président des États-Unis, Mike Pence, qui manifestait contre l’avortement à Washington le 27 janvier, et Morgentaler, qui aimait le plus les femmes ? Je crois que Morgentaler, qui nous a quittés le 29 mai 2013, était beaucoup plus un allié de la condition féminine que Mike Pence et tous les hommes conservateurs de son âge qui ont fait du ventre des femmes une obsession.

Si la nature avait fait de nous des hippocampes, le discours des hommes sur ce sujet ne serait certainement pas aussi militant et culpabilisant.

Il faut rappeler ici que chez cette espèce, ce sont les mâles qui portent les bébés. Même si la grossesse masculine est encore une utopie scientifique, je ne peux m’empêcher de rêver du jour où cette prouesse physiologique permettra à une femme de dire à son conjoint pro-vie : « Comme tu le sais, mon cher mari, j’ai le goût de toi, mais il n’y a aucune méthode de contraception fiable à 100 % sur cette Terre. Puisque avorter est encore considéré comme un acte criminel à cause de ton militantisme, je ne veux en aucun temps être inculpée pour interruption de grossesse. Je crois donc que c’est plus sage que tu portes le bébé. Je te propose d’aller en fécondation in vitro et une fois l’embryon implanté dans ton corps, avec un peu de chance, tu prendras suffisamment de poids pour développer des seins capables d’allaiter le futur poupon.

« Pour la tétine, la nature a déjà tout prévu, et des surdoses de prolactine et d’ocytocine aideront à activer tes glandes mammaires et à ouvrir tes canaux galactophores. Le plus merveilleux, c’est qu’à la fin de la grossesse, pour respecter ton conservatisme, tu pourras choisir le plus douloureux des accouchements. La césarienne sans péridurale serait une belle façon d’honorer la requête de ton Seigneur qui voulait aussi que l’enfantement se fasse dans la douleur à cause de cette histoire de pomme biblique. Si l’expérience te comble, le militant en toi pourra recommencer chaque année, car il y a beaucoup d’embryons congelés qui dorment dans les centres de procréation assistée et qui veulent peut-être aussi être sauvés du frette par un porteur bénévole. T’en faire implanter un par année serait une belle façon de montrer ton indéfectible attachement à ce fœtus dont la survie semble plus importante à tes yeux que celle de la femme qui le porte ou l’avenir de l’enfant qu’il engendrera. »

Comme la grande majorité des gens, je pense qu’on ne devrait jamais voir l’avortement comme une simple méthode de contraception et qu’on a le devoir de tout mettre en œuvre pour ne pas y recourir. Mais pouvoir choisir librement le chemin qui mène à la clinique d’interruption de grossesse quand on n’a plus d’autre solution sans se faire invectiver doit aussi rester un droit sacré et intouchable. Et pour les hommes, la délicatesse et la retenue devraient toujours être les mots d’ordre acceptables.

Voir des hommes qui sont tous pro-armes marcher contre l’avortement me pose un énorme problème éthique.

Si les mouvements anti-avortement américains veulent vraiment célébrer le caractère sacré de la vie, militer pour un meilleur contrôle des armes à feu, qui déciment des milliers d’innocents dans les écoles, les cinémas, les bars, les rues et les foyers américains, et font beaucoup d’orphelins, est une belle occasion. Pour celui qui veut pousser son militantisme plus loin, lutter contre l’extrême pauvreté qui frappe des millions de personnes qui deviennent des loques humaines dans ce riche pays est tout aussi pertinent. Je suis en effet certain que si on pouvait montrer à certains fœtus l’avenir dramatique qui les attend en Amérique, une bonne partie demanderait probablement de passer leur tour.

Au président Trump qui chante son opposition à l’avortement et son désir de nommer des juges pro-vie, il faudrait peut-être rappeler que « lorsque graber des pussies sans demander la permission devient un mode de vie, il se peut qu’il y ait plus d’avortements dans un pays ».

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