Opinion Fête nationale

Un peuple de personnes capables

C’te discours-là, y est arrivé comme d’la visite qu’on n’attend pas. Ça me fait ben penser à ce qui m’est arrivé un samedi, ça doit ben faire trois ans. Mon laitier est arrivé chez nous durant l’après-midi en plein été. Pas pour me vendre d’la crème… Y était avec sa tante. A devait peser son âge ! Ça, c’est rare. À peu près 90 ans pis 90 livres.

Heille, j’me demandais c’qu’y venait faire chez nous. Fait que j’les ai accueillis. Ça me faisait une p’tite pause : j’tais en train de faire mon gazon. Avec de l’aide, elle est sortie de l’auto de son neveu (qui venait de prendre sa retraite, ça vous donne une idée : un jeune de 60 ans…) Comme un vieux parchemin qu’on déroule, la p’tite madame s’est dépliée pis a s’est mise à avancer vers moi. J’ai rien dit : j’l’ai juste regardée pis j’ai vu que les larmes coulaient. Pas des champlures de tristesse : des larmes de joie, de fierté.

Elle était née dans ma maison pis, quand elle avait 6 ou 7 ans, elle avait planté des petits arbres en avant d’la maison avec son frère qui était deux ans plus vieux. Pis là, 80 quelques années plus tard, elle a vu. L’arbre qui était à côté d’elle fait 16 pieds à la base. Ça prend les bras de trois hommes pour faire le tour. Elle était fière. C’est c’te p’tit bout de femme-là qui est l’origine de l’existence d’un des arbres les plus imposants de la ville, peut-être même de la région. Pis, après, a m’a parlé de ma maison, pis d’la rivière qu’y devaient traverser dans un petit panier qu’les pères tiraient avec des cordes pour faire en sorte que les enfants puissent aller à l’école de rang. C’tait ben avant qu’on bâtisse le pont à St-Gérard…

C’tait toute une histoire, une belle histoire, mêlée de sourires pis de souvenirs, de bonheur pis de pleurs. Pis c’qui m’a marqué le plus, c’était la fierté de cette femme-là. La fierté d’avoir planté les arbres ben drette comme a disait. Pis c’était la fierté d’avoir pas juste planté le gros arbre pour le père en face d’la porte d’entrée, mais aussi celle d’avoir planté, juste à côté de c’te géant-là, 5 érables : un pour chaque enfant d’la famille. Presque 100 ans après, y sont grands. Y sont beaux. Y sont plus vivants que jamais.

Aujourd’hui, on m’a demandé de prononcer un discours patriotique. Chu pas un politicien, moi. Ch’t’un père de famille pis ch’t’un prof. Dans un cas comme dans l’autre, je raconte des histoires pour faire comprendre les choses. Pis aujourd’hui, c’que j’veux vous faire voir, c’est pas facile à montrer. Vous l’écoutez la télé, vous les lisez les journaux, vous le voyez partout pis tout le temps : y a des troubles. Au municipal, au provincial, au fédéral, des troubles… Du négatif…

Moi, je les entends, les gens, dire qu’y sont déçus, désabusés, qu’y ont perdu confiance. Pis j’me dis que c’est pas ça ; c’est pas juste ça. J’me dis qu’la vie d’une personne, comme celle d’un village ou même celle d’un peuple, c’est tortueux comme notre rivière. Ça monte pis ça descend, des années plus que d’autres. Mais contrairement à notre belle rivière dont le tracé échappe à notre contrôle, notre vie, on l’oriente avec nos choix. Pis c’que j’veux dire à soir, c’est qu’un peuple qui marche ben, qui va bien, c’est un peuple rempli de gens ordinaires qui, jour après jour, font des choix pour que ça aille mieux. 

Ça part d’un prof qui monte sur une scène devant des milliers de personnes pour leur raconter une histoire, mais ça passe aussi par un père ou une mère qui accepte de retourner aux études pour pouvoir aider ses enfants à mieux réussir leurs études. Ça part des parents qui enseignent à leurs enfants à cuisiner de la belle bouffe, d’la bonne bouffe pour que manger, ça devienne une occasion de se faire du bien en famille, une occasion de mettre nos idées ensemble pis surtout une occasion de discuter des enjeux importants.

Les vrais bâtisseurs de la nation québécoise, c’est pas les députés pis les ministres. Les vrais décideurs, c’est ceux qui prennent une journée de vacances pour faire connaitre les artisans locaux à leurs enfants pis qui leur expliquent la valeur de leur travail ou encore ceux qui les emmènent visiter les fermes de la région pour faire comprendre aux consommateurs de demain à quel point les gens de la terre travaillent fort pour nous offrir des produits de grande qualité. Pis des gestes comme ceux-là, c’est pas banal. C’est pas rien. Pis c’est quand j’me rends compte de l’impact de mes gestes sur ceux qui m’entourent, c’est là que j’me rends compte que j’bâtis des choses. Comme parent, comme prof, comme coach, je bâtis des personnes, j’influence des institutions, je change le cours de certaines vies. La construction d’une nation, ça part de même.

Pis tout’ça, tout ce que j’viens de vous raconter, j’espère que ça va vous permettre de rentrer chez vous à soir pis de vous dire qu’on est un peuple de personnes capables. On est capables de s’organiser une super belle fête nationale. Oui, on est capables de s’organiser un beau party, mais on est aussi capables de se bâtir des familles, une ville pis une nation dont on va être fiers. 

Pis quand on sera vieux, qu’on aura besoin d’aide pour sortir d’un char pis qu’on pèsera à peu près notre âge (ça, ça devrait rester assez rare…), j’espère qu’à not’tour on va avoir des sourires baignés par quelques larmes de fierté quand on va raconter aux plus jeunes à quel point on a travaillé pour leur laisser un monde qui va ben. Un monde dans lequel ça vaudra la peine de s’impliquer, un monde où, comme dans not’célèbre ceinture fléchée, tout le monde est un fil individuel mais, une fois bien noués ensemble, ça donne un résultat solide, durable, imprégné de culture, de travail et d’histoire.

Merci à tout le monde et bonne fête nationale !

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