Analyse

Le retour en grâce de Lisée

QUÉBEC — On peut penser qu’il se voit toujours commandant. Mais quand on est relégué au rôle de simple soldat, aussi bien être le meilleur.

Après avoir dépeint son chef comme une « bombe à retardement », Jean-François Lisée s’accommode fort bien de ce « moment Péladeau » que traverse son parti. Loin d’être affecté aux banquettes arrière, le député de Rosemont est, dans l’opposition, un des meilleurs joueurs de son équipe.

Le plus déterminé, à coup sûr. Il multiplie les points de presse, dans sa circonscription, à la permanence du Parti québécois, à l’Assemblée nationale. Il attaque sur les coupes dans les programmes sociaux. « Je sens qu’il y a des gens qui comptent sur moi. » Sa clientèle ? Des autistes « arrachés de leur milieu de vie », les mères angoissées qui cherchent leurs filles à Laval, des gaillards qui viennent pleurer à la télé sur la disparition de leur centre de désintoxication.

Sans moyens, il réplique au pied levé à une brochette de ministres qui ont des équipes pour les appuyer. Ses interventions se retrouvent, par ses soins, décuplées sur les réseaux sociaux. Il fait partout le coup de feu. Madeleine, à Verchères, n’a pas fait mieux.

Mais en entrevue dans son petit bureau de l’Assemblée nationale, le flamboyant ministre des Relations internationales de Pauline Marois revient de loin. « Si on avait obtenu la moitié des votes de Québec solidaire en 2014, on serait actuellement dans la quatrième année d’un gouvernement Marois majoritaire ! », rêve-t-il à voix haute. Il y a un an, il faisait atterrir en catastrophe l’avion de sa campagne à la direction du PQ – pour éponger sa dette, autour de 30 000 $, ce père de cinq enfants avait dû tendre la main à d’anciens adversaires politiques, comme John Parisella.

ÊTRE « PROCHE DU MONDE »

On fait souvent un résumé facile de son parcours : ses déclarations fracassantes sur la « bombe à retardement » Pierre Karl Péladeau lui valent une punition ; il finit par sortir du purgatoire. « Tout ça, c’est de la légende. Dès sa victoire, Pierre Karl m’a dit qu’il avait besoin de tout le monde dans l’équipe. » Lors du remaniement des responsabilités en septembre 2015, Péladeau le voit dans un dossier promettant davantage de visibilité, mais Lisée tient à conserver son dossier « proche du monde ». « Tous les députés vivent ça, on découvre le monde des associations locales. Je voulais connaître ça, les centres jeunesse, la santé publique. C’est un univers. Si on les sépare de la santé, les services sociaux, c’est le troisième budget de l’État », souligne-t-il.

Le PQ a traversé des « turbulences » au cours des dernières semaines ; il avait clairement devancé la Coalition avenir Québec, à la fin de 2015. « On a eu une séquence difficile au début de l’année. Pierre Karl savait que son mariage battait de l’aile, qu’il y avait des reportages qui s’en venaient sur la question des paradis fiscaux. J’ai bien compris qu’il avait eu une mauvaise séquence, dont il est sorti », observe Lisée.

Il a pris un peu de bide. Dans la bibliothèque, surprise, peu de livres, mais son ouvrage Sortie de secours, sur les solutions de rechange à la souveraineté, est en évidence. La valise est à côté de la porte, prête à repartir pour Montréal.

Pour lui, l’important, c’est « le jeu de terrain », l’organisation que peaufine le directeur du PQ, Alain Lupien. « On l’a vu au fédéral, les libéraux fédéraux étaient en apparence torturés sur la possibilité de fusionner avec le NPD. Ils ont gagné l’élection en disant que dans plus de 30 comtés, le ground game, l’implantation sur le terrain, avait fait la différence ! »

« DANS LA BONNE DIRECTION »

Le PQ « va dans la bonne direction, je n’ai pas de raison d’être pessimiste », dit-il. Les grincements de dents autour de la direction du chef de cabinet Pierre Duchesne ne correspondent pas à la réalité. « J’ai demandé aux collègues, personne ne m’a parlé de ça. Moi, je ne suis pas un chialeux, je fais mon travail. À quoi ça sert de chialer en arrière ? »

Le PQ doit-il annoncer rapidement ses intentions quant à un prochain référendum ? « Pierre Karl l’a dit : ce que sera l’offre du parti souverainiste en 2018, on en décidera en 2018. D’ici là, il faut augmenter le nombre d’indépendantistes. Il faut être convaincants, renouveler notre discours… », souligne Lisée. Deux enjeux viendront donner du grain à moudre : le gouvernement Couillard va plier l’échine et accepter qu’on fasse passer sur le territoire québécois l’oléoduc de TransCanada, et Philippe Couillard va finir par déposer un projet de loi interdisant le port du voile pour les employées de l’État. Ottawa va s’y opposer. « L’illustration des coûts de la dépendance est sur notre chemin d’ici 2018. »

Sous Pauline Marois, Lisée avait joué les entremetteurs entre le PQ et Québec solidaire. « Pierre Karl a pris la bonne décision, continuer à tendre la main à QS même si la direction du parti est réfractaire. Il y a, dissèque-t-il, la direction de Québec solidaire, les militants, et il y a les électeurs. Nous, on parle à tous. Il y a un constat : si on ne fait rien, si les quatre partis ne se coordonnent d’aucune façon, cela va donner les libéraux au pouvoir. »

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