Lutte contre l'évasion fiscale

Le côté sombre du fisc

Depuis 2009, Québec mise fortement sur la lutte contre l’évasion fiscale pour revenir à l’équilibre budgétaire. Mais l’agressivité du fisc cause des ennuis terribles à des contribuables sans reproches, comme en témoignent deux jugements lapidaires rendus contre Revenu Québec, ces derniers jours.

Et d’autre part, les résultats obtenus par Revenu Québec sont moins concluants qu’on pourrait le croire.

Les chiffres officiels témoignent d’un succès éclatant. L’an dernier, le fisc a récupéré 3,5 milliards de dollars, presque deux fois plus qu’il y a six ans. Pour y arriver, Revenu Québec a embauché plus de 1000 personnes depuis 2009, portant son effectif à 4700 travailleurs.

Les limiers du fisc ont ciblé plus particulièrement l’industrie de la construction, responsable de 40 % de l’évasion fiscale. Et ce n’est pas fini. Dans son dernier budget, le gouvernement a encore relevé la cible de récupération pour 2013-2014, en demandant à Revenu Québec de surveiller de plus près les restaurateurs, les agences de placement et les fiducies.

Québec estime que ses efforts sont très rentables. Revenu Québec se plaît à dire que chaque dollar investi permet de récupérer 9 $ d’impôt.

Mais le terme « récupération fiscale » est malheureusement galvaudé, estime Me Paul Ryan, spécialiste du droit fiscal au cabinet Ravinsky Ryan Lemoine. « Dans les faits, les statistiques révèlent que le gouvernement semble avoir beaucoup de difficulté à percevoir les montants des cotisations », indique l’auteur du livre Quand le fisc attaque.

Les « récupérations fiscales » annoncées par le fisc correspondent aux avis de cotisation expédiés par Revenu Québec. Mais cela ne signifie pas que les contribuables ont réellement versé les sommes exigées.

Au contraire, le montant des créances fiscales a bondi. L’an dernier, les créances ont atteint 7,6 milliards de dollars, en hausse de 40 % ou 2,2 milliards par rapport à 2010, selon Revenu Québec.

Au bout du compte, combien d’argent est vraiment entré dans les coffres de l’État ? Est-on vraiment gagnant ? « Oui, il y a des résultats, convient M. Ryan. Mais on se donne bien du trouble et on embête bien des gens pour des résultats qui ne sont pas aussi spectaculaires qu’on le pense. »

Plaintes en hausse

Alors que les objectifs de récupération fiscale augmentent, les plaintes et les litiges contre Revenu Québec sont aussi en hausse.

Il faut dire que les employés du fisc ont beaucoup de pression pour émettre des avis de cotisation.

Chaque service a une somme fixe comme objectif à récupérer. Chaque agent a des quotas à respecter. S’il atteint sa cible, l’agent peut grimper d’échelon, ce qui augmentera son salaire de 1000 $ à 1200 $. L’agent peut aussi obtenir un boni représentant 3,5 % de son revenu.

C’est ce qui ressort d’une décision du juge Steve Reimnitz, de la Cour supérieure, qui vient de condamner Revenu Québec à verser près de quatre millions de dollars à Jean-Yves Archambault et à son entreprise Enico. Le jugement très étoffé se lit comme une véritable histoire d’horreur dans laquelle Revenu Québec met à mort une PME florissante, à coup d’erreurs et d’abus.

Ce drame n’est pas un cas unique. Depuis trois ans, le Protecteur du citoyen observe une augmentation de 37 % des plaintes fondées contre Revenu Québec. L’organisme a rappelé le fisc à l’ordre dans son dernier rapport annuel. Il constate que le fisc maintient des décisions déraisonnables, même quand des faits nouveaux et concluants sont portés à son attention.

Par exemple, une dame s’est vue réclamer 1,5 million de dollars par le fisc, en 2012. Revenu Québec prétendait qu’elle avait été impliquée dans un stratagème de fraude chez son ancien employeur.

La dame était incapable de se défendre, car Revenu Québec refusait de lui remettre le rapport d’expertise d’écriture prouvant qu’elle aurait imité des signatures. Ce fameux rapport était la seule et unique preuve que le fisc détenait contre elle, a constaté le Protecteur du citoyen.

La citoyenne a finalement réussi à s’innocenter en démontrant qu’elle ne travaillait plus pour l’entreprise durant certaines périodes visées par la cotisation. Revenu Québec a été forcé de baisser les armes.

La cour est pleine

Les contribuables sont aussi plus nombreux à se rendre devant les tribunaux pour contester une décision du fisc.

En matière de taxes, 36 % des appels déposés à la Cour canadienne de l’impôt en 2012 provenaient du Québec. Et les causes de TPS à Montréal représentaient 50 % du volume de tout le Canada.

« Il y a deux fois plus de dossiers déposés à Montréal qu’à Toronto, alors que la population est plus petite. C’est comme si on avait quatre fois plus de dossiers par habitant », s’étonne Alexandre Dufresne, avocat et actionnaire directeur chez Spiegel Sohmer.

« Revenu Québec est particulièrement actif dans la lutte contre la facturation de complaisance, notamment dans le domaine de la construction, ce qui génère beaucoup de litiges dans ce domaine », explique le porte-parole Stéphane Dion.

Mais quand il s’agit de taxes, les conséquences d’un litige sont particulièrement meurtrières pour les PME et les travailleurs autonomes.

« Souvent, je vois des entreprises qui se font cotiser plus ou moins sans fondement. Avant d’avoir gain de cause, ça prend trois ou quatre ans. Mais elles sont obligées de payer sur-le-champ. Toutes leurs affaires sont gelées, hypothéquées, saisies, raconte M. Dufresne. Ça peut faire en sorte qu’elles sont obligées de fermer leurs portes parce qu’elles n’ont plus d’argent pour se défendre. »

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