Le Canadien

Nikita Scherbak

et le facteur russe

De nos jours, les joueurs russes sont dévalués au repêchage simplement en raison de leur nationalité. On leur accole tous la même étiquette, le même point d’interrogation. Le fameux « facteur russe » – cette crainte qui assaille les équipes de la LNH de voir des joueurs russes les abandonner au profit de la KHL – a considérablement réduit le nombre de repêchés issus du pays de Dostoïevski.

Et quand d’aventure ils sont réclamés, combien de fois n’entend-on pas dire : « Si ce gars-là s’appelait Doug Chose, il aurait été repêché pas mal plus tôt. »

Nikita Scherbak n’en fait pas tout un plat. Mais il est clair pour le plus récent choix de première ronde du Canadien que le facteur russe n’est pas son problème.

« Si le Canadien m’a repêché, ça doit être parce qu’il n’a pas peur des joueurs russes ! Tout le monde est différent, chaque cas est particulier. Personnellement, je ne veux pas jouer dans la KHL. Mon rêve est de jouer dans la LNH, et c’est la raison pour laquelle je suis venu jouer mon junior au Canada.

« Il y a des Russes qui jouaient dans la LNH et qui sont partis pour la KHL. C’est peut-être une mauvaise attitude, une quête de plus d’argent…

« Il y a des équipes qui ont été échaudées après que des joueurs sont partis pour la KHL. Je pense aux Jets de Winnipeg avec Alex Burmistrov. Mais chez le Canadien, Andrei Markov et Alexei Emelin sont bien établis à Montréal. Alex Kovalev l’avait été auparavant.

« À mon sens, l’équipe qui te veut va finir par te prendre. »

PERSONNALITÉ ATTACHANTE

Il y a plus d’un préjugé à l’égard des Russes. Outre leur tentation de retrouver la mère patrie, un autre veut que la plupart d’entre eux soient ténébreux et difficiles à percer.

Voilà un autre mythe que Scherbak fait voler en éclats.

Dès le soir du repêchage, le jeune attaquant a conquis toute la galerie avec sa personnalité attachante.

Et ce qui est épatant, c’est que ce charisme s’exprime neuf mois seulement après qu’il a commencé à parler anglais. Comment a-t-il pu y parvenir aussi vite ?

« En parlant à des gens, j’imagine, répond-il, pince-sans-rire. »

« Parfois, je dis quelque chose qui ferait rire les Russes, mais une fois traduit en anglais, personne ne réagit ! »

— Nikita Scherbak

Le temps dira si l’absence de Scherbak aux tests combinés de la LNH au mois de mai aura servi le Canadien. Des problèmes de visa l’ont empêché de se rendre à Toronto et d’être interviewé par de nombreuses équipes. Si l’une d’elles était tombée sous le charme, qui sait si l’ailier de 18 ans n’aurait pas été repêché avant le 26e rang…

TOTALEMENT INVESTI

Son père Sergueï est entraîneur dans un centre de conditionnement physique, tandis que sa mère Evguénia est mère au foyer. Le père jouait au soccer et la mère au basketball, mais ils ont tous deux subi des blessures avant d’avoir pu envisager des carrières professionnelles.

Outre qu’ils ont soutenu Nikita dans la pratique de deux sports d’été, ses parents l’ont toujours épaulé dans la poursuite de son rêve.

« Quand on est petit, on peut toujours dire qu’on rêve d’atteindre la LNH, mais on ne comprend pas ce que ça implique, soutient Scherbak. Moi, c’est à l’âge de 15 ans que je me suis réellement investi, en me mettant à travailler fort et à être le premier à sauter sur la patinoire et le dernier à en sortir.

« Toute ma vie, cependant, mon père a été très dur avec moi. Quand je faisais quelque chose de bien, ce n’était jamais suffisant. “Tu peux faire beaucoup mieux, me répétait-il tous les jours. Beaucoup mieux !” Je dois le remercier parce que ça m’a beaucoup aidé. »

FROIDE SASKATOON

Scherbak avait du talent, mais personne n’aurait cru qu’il deviendrait un choix de premier tour après la saison en dents de scie qu’il a connue à 16 ans dans la MHL, la ligue junior de Russie.

« Ce que cette saison-là a eu de bien, c’est qu’elle m’a permis de faire le saut à Saskatoon l’année suivante », résume-t-il, faisant allusion au repêchage des joueurs européens de la Ligue canadienne, où il a été le 76e joueur réclamé sur 78.

Il ne s’est pas précipité sur une carte géographique pour voir où se trouvait Saskatoon.

« Mon agent m’avait dit que le gardien Andrei Makarov avait joué là auparavant et que c’était bien », précise-t-il.

« C’est bien, mais il fait tellement froid. Le mercure est descendu à -65 °C un soir. Je suis habitué à des froids de -30 °C à Moscou, mais je n’étais pas prêt à cela. On aurait dit la Sibérie ! »

— Nikita Scherbak, à propos du climat à Saskatoon

En tentant leur chance avec Scherbak, les Blades ne pouvaient pas deviner combien ils avaient eu la main heureuse.

Certes, le premier mois a été particulièrement difficile, car Scherbak se sentait isolé et loin de chez lui. Mais une fois qu’il a trouvé ses marques, il a pris les choses en main avec un aplomb qui a laissé tout le monde pantois.

L’explosif attaquant a mené toutes les recrues de la Ligue de l’Ouest avec 78 points en 65 matchs, en plus de terminer premier marqueur de l’équipe. Qu’on lui ait préféré Nick Merkley au titre de recrue de l’année dans la WHL relève de l’aberration.

« Je suis content pour lui, c’est un bon joueur, mais moi aussi, je veux gagner et je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas remporté », déclare Scherbak sans détour.

Mais ça ne diminue en rien ce qu’il a accompli au sein d’une équipe faible.

« Tu veux dire une jeune équipe », prend soin de corriger Scherbak. Touché.

« Les entraîneurs m’ont fait confiance et m’ont donné beaucoup de temps de jeu. C’est vrai qu’on a perdu beaucoup de matchs, mais on était une jeune formation, et la saison prochaine, tout le monde aura vieilli d’un an. »

À voir les progrès qu’a pu faire Scherbak en un an, on est en droit de croire que l’amélioration pourrait être notable.

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