Lutte contre la radicalisation

Un projet de loi et un plan d’action

Québec part en guerre contre la radicalisation. Hier, au moment où un projet de loi était déposé à l’Assemblée nationale par Stéphanie Vallée, ministre de la Justice, deux autres ministres présentaient un vaste plan d’action et de prévention à Montréal. Celui-ci prévoit 59 mesures qui vont d’une ligne téléphonique d’urgence à des partenariats entre les corps de police, en passant par une surveillance des réseaux sociaux. 

Loi contre les propos haineux

Proférer des menaces ou même cultiver l’exclusion, la haine d’un groupe religieux ou ethnique, cibler les homosexuels, les femmes ou les non-croyants, tout cela sera formellement interdit au Québec, une fois le projet de loi 59 adopté. « Par ces propositions, nous voulons renforcer nos interventions, nous doter de nouveaux moyens pour assurer la protection des personnes et sanctionner la diffusion de propos haineux et incitant à la violence. Notre société est riche de sa diversité, la crainte de l’autre, le rejet des différences font reculer le Québec », déclare Me Vallée.

Partout

Québec compte modifier la Charte québécoise des droits et libertés pour éradiquer de l’espace public les discours haineux et les appels à la violence. Toute intervention verbale ou écrite, même sur l’internet, tombera sous le coup de la loi. Les conversations privées, par exemple dans un chat sur l’internet, ne seront pas visées. Les médias, en revanche, seront autorisés à rapporter ces déclarations litigieuses. 

Lourdes amendes

Dans sa définition du discours haineux, Québec reprend le Code criminel. Toutefois, le fardeau de la preuve sera moindre. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recevra les plaintes ou lancera des enquêtes dans ces dossiers. Elle transmettra ses conclusions au Tribunal des droits de la personne. Les contrevenants seront passibles d’amendes de 1000 à 10 000 $, sanctions dont le montant pourra doubler en cas de récidive. Un fournisseur de services internet pourrait être forcé de retirer des propos controversés de son serveur. 

Une liste

La liste des contrevenants et de ceux qui ont favorisé la diffusion de tels propos sera publiée sur l’internet. On diffusera le nom des personnes ou des groupes jugés coupables par le Tribunal des droits de la personne. Le tribunal aura le pouvoir de publier des ordonnances pour faire cesser ces discours. Des ressources supplémentaires devront être accordées à la Commission des droits pour faire face à ses nouvelles responsabilités. 

Crimes d’honneur

Pour combattre les crimes d’honneur, Québec entend lancer une nouvelle « ordonnance de protection » que pourra invoquer une personne qui sent que sa sécurité est en péril. Il vise ici à mettre les jeunes ou même les aînés à l’abri du « contrôle excessif » de sa famille ou de son entourage. Cette notion de « contrôle excessif » sera ajoutée aux dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse, conformément à un avis du Conseil du statut de la femme de 2013.

En outre, la Loi sur la protection de la jeunesse précisera qu’aucune considération d’ordre idéologique, notamment l’honneur, ne peut justifier que la sécurité d’un enfant soit compromise. 

Mariages forcés

Pour réduire les risques de mariage forcé, le Directeur de l’état civil sera tenu de publier sur son site les unions annoncées. Actuellement, la publication des bans est passablement anarchique. De plus, les personnes de 16 ou 17 ans sur le point de se marier devront obtenir l’approbation d’un juge au préalable. Les jeunes de 15 ans et moins ne peuvent se marier, prévoit déjà la loi actuelle. 

Écoles et cégeps

En outre, le ministre de l’Éducation aura le pouvoir de déclencher des enquêtes en cas de comportements susceptibles de porter atteinte à la sécurité physique ou morale des élèves. Les établissements primaires, secondaires ou même collégiaux, tant privés que publics, autorisant dans leur enceinte de tels enseignements pourraient perdre leurs subventions.

De plus, Québec lance une étude portant sur le collège de Maisonneuve, dont plusieurs élèves auraient quitté ou tenté de quitter le Canada avec l’intention de se rendre en Syrie. L’étude vise à comprendre ce qui pousse les jeunes vers la radicalisation.  

Ligne d’urgence

La ligne téléphonique de prévention de la radicalisation, créée il y a quelques mois avec la mise sur pied du nouveau Centre de prévention à la radicalisation menant à la violence de Montréal, auquel sont alloués 2 millions, sera dorénavant disponible partout dans la province. Cette ligne est gérée par un organisme sans but lucratif. Son objectif, a expliqué la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault, est d’offrir aux parents un lieu où poser leurs questions et faire part de leurs inquiétudes. « Il faut être capable de mettre les bons intervenants en place, et pas seulement la police. »

À ce propos, une quarantaine de travailleurs sociaux dans la province ont accepté de participer au processus de prévention et de déradicalisation (on peut les joindre au 514 687-7141 ou encore au 877 687-7141). 

Vigie sur les réseaux sociaux

Une équipe de la Sûreté du Québec se consacrera dorénavant à la surveillance des réseaux sociaux afin de détecter les messages haineux et radicaux. Notons toutefois que la GRC, qui pilote toutes les enquêtes liées à des affaires de terrorisme, fait déjà un tel travail sur l’internet afin d’endiguer le recrutement.

Même lorsqu’un présumé terroriste quitte le Québec pour l’étranger, l’Équipe intégrée de la sécurité nationale continue de le suivre et de le surveiller à distance, confiait à La Presse le sergent Hakim Bellal, de la section prévention en avril. 

Qui cibler ?

Alors que le maire de Montréal Denis Coderre, présent au lancement du Plan d’action, a assuré que la communauté musulmane n’est pas la seule visée par l’offensive, expliquant que les jeunes attirés par les gangs de rues ou l’antisémitisme peuvent aussi bénéficier de la ligne d’aide téléphonique ou des services du nouveau Centre de prévention, la ministre de l’Immigration Kathleen Weil a au contraire affirmé que la communauté musulmane était au cœur du plan d’action. Elle a expliqué qu’elle s’était assise avec ses représentants pour le concevoir. « Il est délicat d’en parler, mais au moins, nous mettons le sujet sur la table. »

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