Analyse

Les langues
se délient au PQ

QUÉBEC — L’élection est passée. Les langues se délient au Parti québécois.

Saviez-vous que Jean-François Lisée était contre une bonne partie de la Charte des valeurs ? Il jugeait exagéré qu’on veuille étendre aux hôpitaux, aux universités ainsi qu’aux municipalités l’interdiction du port de signes religieux visibles. Dans les officines péquistes, on parle désormais plus librement des frictions entre le ministre Lisée et son collègue Bernard Drainville, le parrain de la Charte controversée.

Un autre adversaire de cette charte qui se trouvait au cœur de la stratégie identitaire du gouvernement Marois ? Alexandre Cloutier, juriste avant d’être politicien. Il voyait clairement que le projet était susceptible d’être battu en brèche par les tribunaux. Publiquement, il soutenait même après les élections : « Vous aurez compris qu’on aura une sérieuse réflexion à avoir sur le contenu même de cette charte. Il y a des éléments qui pouvaient davantage rassembler. Je pense qu’on aurait dû se concentrer sur ce qui faisait davantage consensus. » On peut penser que Bertrand St-Arnaud, le ministre de la Justice, qui, lui, fuyait les questions sur la Charte, était du même avis.

Ceux qui ont traversé la campagne au PQ conviennent facilement que, du début à la fin, l’équipe Marois n’est pas parvenue à imposer son plan de match. « L’autre campagne », celle qui est restée dans les cartons, devait débuter sur l’économie et se poursuivre sur la Charte des valeurs.

En lieu et place, Mme Marois s’est laissé amener dans le marécage référendaire, elle a répudié des semaines de travail en promettant de recourir à la clause dérogatoire pour faire adopter la Charte, spéculé sur des congédiements que Bernard Drainville avait toujours esquivés. Elle a fini sur des baisses d’impôts dont personne, dans l’équipe, n’avait entendu parler auparavant.

Devant les sondages montrant que Mme Marois était désormais plus populaire que son parti, les conseillers avaient décidé dès le début de concentrer tout le message sur la chef. Rapidement, elle parut bien seule, à arpenter son couloir d’aéroport. On a tenté de ramener l’équipe par la suite, probablement trop tard. Les commandes de Nicole Stafford, Dominique Lebel, des chefs de cabinet, ainsi que du directeur du PQ, Sylvain Tanguay, allaient souvent dans toutes les directions. Dès le début, l’aventure semblait condamnée.

Les langues se délient, et les plumes s’activent...

Lisée se vide le cœur sur son blogue

Le problème qu’a posé la Charte des valeurs en campagne électorale est abordé de front dans un texte rendu public hier par Jean-François Lisée sur son blogue. Hier, le ministre sortant refusait de préciser sa pensée en entrevue; le texte suffit, a-t-il expliqué. Dans son texte, Lisée relève que les stratèges péquistes auraient pu centrer davantage la campagne sur les questions identitaires comme la Charte et la langue. Le projet de charte aurait été mieux accueilli avec un bouquet de mesures favorables à l’immigration. Surtout, la proposition aurait nécessité « un ensemble cohérent et plus attractif ». Accessoirement, comme l’ex-ministre Joseph Facal, Lisée estime aussi qu’il aurait fallu encadrer étroitement la sortie de Janette Bertrand en fin de campagne. Mme Marois, qui a louvoyé et dit que des femmes congédiées pour leur voile obtiendraient de l’aide du gouvernement pour se recaser dans le secteur privé, n’a pas aidé. « Une meilleure gestion, en amont, de la question des congédiements n’aurait certes pas nui non plus », observe Lisée.

Dans l’analyse la plus fine jusqu’ici des causes de la déroute péquiste de lundi, Lisée explique que les stratèges de la campagne péquiste, dont il ne faisait pas partie, prend-il soin de préciser, étaient convaincus que l’entrée en scène de Pierre Karl Péladeau allait attirer des sympathisants caquistes au PQ. Une « présomption raisonnable », observe Lisée.

Le poing brandi n’a rien changé à l’affaire, selon lui; l’irruption d’une personnalité aussi forte que PKP a transformé l’hypothétique référendum en « éventualité réelle ». Conséquence ? Cela « a réveillé, chez près d’un demi-million de Québécois francophones, une vive aversion à retenter l’aventure référendaire », dit Lisée qui semble avoir retrouvé ses notes de Sortie de secours, un ouvrage percutant qu’il avait publié à l’époque du gouvernement Landry.

L’option souverainiste, et le référendum
qui lui est attaché, est devenue « l’éléphant dans la pièce », l’évidence qu’hésitent
à aborder les péquistes, mais qu’ils devront inévitablement débattre.

« Une partie significative de l’électorat francophone est réfractaire à l’hypothèse référendaire, dans l’avenir prévisible », conclut Lisée. Difficile de balayer un éléphant sous le tapis, le PQ ne fera pas l’économie de ce débat.

Jusqu’ici, les traces laissées par les péquistes laissent perplexe l’observateur Facal.

« L’évolution démographique du Québec garantit au PLQ, dans le pire des cas, 50 circonscriptions. Le passage du temps joue inexorablement en sa faveur. Les souverainistes sont divisés en trois partis. L’idée même de la souveraineté ne fait pas recette chez les 18-24 ans. Tout cela exigerait une réflexion sereine, approfondie, forcément douloureuse », prévient-il.

Or « lundi soir, la très étonnante prestation conjointe des trois prétendants à la succession de Mme Marois, juste avant ses adieux émouvants, semble toutefois annoncer que les priorités sont déjà ailleurs », déplore Facal.

En voyant les Drainville, Lisée et Péladeau entraînés dans une surenchère de credo souverainiste, bien des téléspectateurs ont pensé la même chose.

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