Opinion / 
Documentaire Quand les pouvoirs s’emmêlent

Où sont les croyantes ?

Cette lettre s’adresse à la réalisatrice de documentaire Quand les pouvoirs s’emmêlent, Yvonne Dufour, qui pose un regard critique sur les liens ambigus qu’entretiennent la religion et la politique au détriment des libertés des femmes du monde entier.

Madame, votre film, Quand les pouvoirs s’emmêlent, se base sur un présupposé : les pouvoirs religieux sont dangereux pour les droits des femmes. Ainsi la lutte pour la laïcité serait le moyen de promouvoir les droits des femmes dans le monde.

Croyante et féministe, je suis mal à l’aise avec cette thèse. La lutte pour les droits des femmes dans le monde ne peut se passer de la contribution des femmes croyantes. Je suis perplexe quant aux objectifs poursuivis en réclamant davantage de laïcité au Québec.

Dans votre film, la parole est donnée à plusieurs femmes, mais à une seule s’identifiant comme croyante, une femme rabbin. N’aurait-il pas été judicieux, compte tenu de votre propos, d’écouter d’autres femmes croyantes ?

Oui, plusieurs religions souffrent d’un syndrome que j’appelle celui de « la gang de gars ». S’agissant de l’Église catholique – mon Église –, le pape François appelle cela le « cléricalisme » et il le dénonce. Il me semble illusoire de combattre le cléricalisme avec davantage de cléricalisme.

Au Québec, la « revanche des berceaux » (de 1900 à 1950 environ), a causé un traumatisme qui a marqué l’inconscient collectif. De nombreuses femmes ont été exclues de la table eucharistique pour avoir « empêché la famille », d’autres sont mortes en couches, tout cela avec l’objectif de maintenir le poids démographique des francophones. Nombreux sont les abus encore dévoilés ces jours-ci : ils sont tous contraires à l’Évangile et ils pèsent lourd sur la crédibilité de l’Église. 

Droits des femmes et participation des croyantes féministes

Les femmes catholiques ont mené et mènent encore beaucoup de combats pour le droit des femmes au Québec et à l’international. Celui pour le droit de vote au Québec était mené par elles, en majorité. Nous nous appuyons sur notre foi, l’Évangile, l’enseignement social de l’Église et la solidarité avec d’autres femmes.

S’agissant d’éthique sexuelle, eh bien oui, certains pouvoirs religieux, dont celui de l’Église catholique, sont des empêcheurs de tourner en rond. Toutefois, aujourd’hui, l’influence de la religion sur la vie concrète des gens dépend de leur libre-arbitre et non plus des directives des pouvoirs religieux.

Est-ce un bien, est-ce un mal ? C’est ainsi. 

Femmes et religions 

Dans de nombreuses cultures, la laïcité a une connotation négative. Est-ce opportun, pour faire avancer les droits des femmes, surtout dans des pays qui ont une religion officielle, de s’opposer à la religion, voire, de ne pas respecter l’identité des femmes croyantes ?

Votre film s’adresse au peuple du Québec : comment voyez-vous l’intervention canadienne dans d’autres pays à cet égard ? J’ai encore le souvenir douloureux du prétexte de la libération des femmes lors de l’intervention militaire du Canada en Afghanistan. 

Église et laïcité au Québec 

Pour parler de laïcité au Québec, n’est-il pas pertinent de considérer la position officielle de l’Église catholique à cet égard ? Elle est énoncée par les évêques dans Catholiques pour un Québec pluraliste (et par l’enseignement social de l’Église, qui vaut pour le monde entier) : elle considère positivement la « saine distinction » entre les pouvoirs politique et religieux.

La Révolution tranquille ne s’est pas faite contre l’Église, elle s’est faite à partir d’elle. Des travaux d’historiens le démontrent. Pourquoi ne pas en tenir compte ?

Pour la paix sociale 

Si je prends la peine d’écrire, c’est que j’ai confiance qu’en dissipant quelques préjugés, la paix sociale sera renforcée. Avec vous, j’ai à cœur la lutte contre la pauvreté et la violence faite aux femmes : elle doit être davantage inclusive et ciblée sur les vrais enjeux.

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