Médias  Congrès du FPJQ

Info ou promo ?

Québec

 — Le contenu commandité est-il la planche de salut qui sauvera les médias ? Cette délicate et explosive question a été abordée hier au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, congrès auquel ont participé 700 personnes et qui prend fin aujourd’hui.

Il y a dix ans, un tel atelier aurait été impensable. Les journalistes auraient déchiré leur chemise à la simple évocation d’un contenu rédactionnel financé par un annonceur.

Mais voilà, les choses ont bien changé. Le contexte économique est difficile, les revenus publicitaires sont en baisse et les médias doivent trouver des moyens d’assurer leur survie.

De leur côté, les annonceurs ne se contentent plus d’une banale page de publicité ou d’un spot de 30 secondes. Ils savent que leur clientèle est de plus en plus sophistiquée et inventent de nouvelles façons de la rejoindre. Ils veulent se « coller » au contenu rédactionnel d’un média pour profiter de sa crédibilité et de celle de ses journalistes. Dans certains cas, ils inventent carrément leur média en créant un magazine ou un site web.

Depuis quelques années, on voit donc apparaître une pratique que désignent plusieurs noms, la plupart en anglais : branded journalism, content marketing, sponsored coverage, branded content, native advertising (une pratique que le webzine Nightlife a adoptée récemment). Différentes expressions qui désignent en gros la même chose : un contenu éditorial payé par un annonceur, un concept qui, disons-le, est honni par la plupart des journalistes.

Contre toute attente, c’est Carole Beaulieu, la patronne de L’actualité, une référence en matière de rigueur journalistique, qui a plongé la première et parlé de ce qui se faisait dans son magazine. Il faut dire que Mme Beaulieu occupe une position unique dans le paysage journalistique québécois : elle est à la fois rédactrice en chef et éditrice, donc responsable du contenu ET de la santé financière de sa publication.

L’actualité a accepté l’expérience du contenu commandité avec le projet « affaires sans frontières », une section de son site web consacrée au commerce mondial et commanditée par la HSBC. « C’est un modèle qui respectait l’intégrité du contenu, a expliqué Carole Beaulieu. Les textes étaient écrits par des journalistes et HSBC n’avait rien à dire. La ligne de contrôle appartenait aux journalistes. »

Des ententes comme celle-là, il y en a des tonnes au Canada anglais et aux États-Unis, où, semble-t-il, on répugne moins qu’au Québec à intégrer de la publicité au contenu rédactionnel. Un exemple : le site américain Mashable, spécialisé dans le domaine des nouvelles technologies, a publié récemment une série sur l’innovation commanditée par BMW. Le texte était signé par un journaliste, il n’était jamais question de voitures, mais le nom de BMW était accolé à un contenu de qualité. La pratique est tellement répandue qu’il existe des agences de journalistes qui se spécialisent dans le journalisme de marque. Une des plus connues, Contently, propose aux entreprises intéressées une banque de reporters expérimentés prêts à rédiger des textes commandités ou à écrire pour des magazines de marques comme Live Better. Pour ceux qui ne connaissent pas Live Better, il s’agit d’une publication dans laquelle on retrouve des recettes, des conseils mode, santé, beauté, déco… Un contenu qui ressemble à celui de plein de magazines féminins, sauf qu’il est publié par les magasins Walmart.

Poser des limites

Les magazines féminins sont d’ailleurs les plus exposés à perdre leur âme dans ce marché avec les publicitaires. Contrairement aux lecteurs de magazines d’affaires publiques, qui n’aiment pas voir des publicités trop collées sur le contenu rédactionnel (dixit Carole Beaulieu, études à l’appui), les lectrices de magazines féminins, elles, apprécient cette cohabitation et y trouvent même une cohérence. Résultat : les annonceurs sont plus exigeants lorsqu’ils négocient leur espace publicitaire. « On nous demande aujourd’hui des choses qui sont en contradiction avec les principes qu’on nous enseignait en journalisme », a déclaré Geneviève Rossier, directrice de Coup de pouce, a confié avoir refusé un concept de contenu commandité qui allait trop loin, selon ses critères. Résultat : l’annonceur a annulé tous ses investissements dans Coup de pouce, l’équivalent de deux salaires annuels de journalistes. « Ai-je pris la bonne décision ? », s’est demandé Mme Rossier ce jour-là.

Voilà le genre de situations cruelles auxquelles se heurtent les patrons de presse aujourd’hui. Combien de temps pourront-ils résister ? Au quotidien Le Soleil, les reportages « thématiques » (autre expression pour désigner le contenu commandité) « génèrent des revenus importants, on ne peut pas l’ignorer », a souligné Pierre Couture, président du syndicat des journalistes du quotidien de Québec.

Le choix est clair, selon Carole Beaulieu de L’actualité : « Est-ce qu’on accepte d’y aller et d’essayer de négocier une entente qui satisfait tout le monde, ou est-ce qu’on refuse et les annonceurs vont ailleurs ? S’ils s’en vont, non seulement nous n’aurons plus d’argent pour réaliser les reportages importants sur le budget ou la guerre en Afghanistan, mais nous n’aurons même plus de journaux et de magazines. »

Aux États-Unis, il existe des fondations privées qui financent le journalisme d’enquête, mais au Québec, les mécènes se font désirer. Le journalisme commandité sonnera-t-il le glas du journalisme pur et dur ? Les journalistes travailleront-ils un jour pour Coca-Cola, IGA ou L’Oréal ? Voilà des questions qui restent sans réponse et qui inquiètent les journalistes.

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