Chronique

La réussite de Karl W. Ouimette

Ce sapré but a foutu en l’air les plans de Karl W. Ouimette.

Samedi soir dernier, après le match contre Philadelphie, le jeune défenseur de l’Impact devait étudier en vue de son examen de marketing à 9 h le lendemain matin. Eh oui, à HEC Montréal, des contrôles de mi-session ont lieu le week-end.

Mais comment se plonger dans les livres, revoir ses notes de cours et, surtout, afficher un minimum de concentration lorsqu’on vient de réussir le premier but de sa carrière en Major League Soccer ? Un but qui, de surcroît, s’avère jusqu’à maintenant le plus important du club cette saison.

Sans cette victoire arrachée in extremis grâce à l’audacieuse tête de Ouimette, qui a brisé l’égalité et enflammé le stade Saputo, l’Impact n’aurait sans doute pas remporté ce match. Or, la victoire était nécessaire pour raffermir les chances de l’équipe de participer aux séries éliminatoires.

« J’ai essayé d’étudier après le match, mais j’étais encore trop excité, dit Ouimette. On verra quelle note j’obtiendrai, mais je pense que ce sera correct… »

Assis sur un banc du Centre Claude-Robillard après l’entraînement des siens mardi, Ouimette raconte son impressionnant parcours d’un ton modeste.

Quelques minutes plus tôt, de jeunes joueurs de soccer ont couru vers lui en l’apercevant : «  Hé, c’est Karl Ouimette ! C’est lui qui a marqué le but samedi… On peut prendre une photo ? »

En une poignée de secondes, Ouimette a été entouré d’une quinzaine de garçons fiers de poser en sa compagnie. Pas mal pour un jeune homme de Terrebonne ayant abandonné le hockey à 10 ans, un sport dans lequel il excellait, pour vivre à plein sa passion du soccer.

« Ma mère m’a expliqué que je devais choisir, explique Ouimette. Non seulement ça commençait à coûter cher, mais les conflits d’horaire étaient de plus en plus fréquents. J’aimais aussi le basket et la natation. Mais la beauté du soccer, c’est que tu as juste besoin d’un ballon et tout le monde s’amuse… »

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En juin 2012, Ouimette est devenu le premier joueur issu de l’Académie de l’Impact, un programme où l’élite de la relève combine sport et études, à signer un contrat professionnel en Major League Soccer. À sa manière, il a été un précurseur, inspirant tous ceux qui empruntent cette voie dans l’espoir d’accéder aux rangs professionnels.

Malgré ses succès au sein des équipes du Québec et du Canada, notamment chez les moins de 17 ans, Ouimette savait que la transition chez les professionnels serait difficile. La MLS est un circuit en ascension qui attire des joueurs aux palmarès impressionnants, comme Marco Di Vaio et Alessandro Nesta. Pas facile de se tailler une place dans ce milieu très concurrentiel.

« La saison dernière, j’ai joué seulement 60 minutes, rappelle Ouimette. C’est dur, ça. Même si tu fais ce que tu aimes et que tu t’entraînes fort, tu veux vivre de grands moments, tu veux participer aux gros matchs. Cette année, j’ai disputé cinq rencontres. Il faut saisir les occasions lorsqu’elles se présentent… »

À ce jeu, notre homme est manifestement doué. Son but de samedi a galvanisé une équipe au moral chancelant. C’était beau de voir ses coéquipiers l’entourer après sa réussite. Le vétéran Hassoun Camara, qui a roulé sa bosse en Europe et en Amérique, semblait aussi heureux que lui.

« On a explosé de joie, raconte Camara. Juste avant le coup franc, Karl m’a crié : “Hassoun, on va marquer…” Je suis tellement content pour lui. Ça m’a fait chaud au cœur. Ce but a récompensé tous les coachs de l’Académie. »

Les parents de Karl W. Ouimette n’étaient pas au stade pour célébrer l’exploit de leur fils de 21 ans. Ils participaient plutôt à une activité de financement de Leucan.

Julie, la sœur cadette de Karl, combat une forme rare de leucémie depuis plusieurs années. Toute la famille l’appuie sans relâche. « Elle est une fille tellement courageuse, une vraie battante… », dit-il, ému et admiratif.

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Malgré ses objectifs sportifs, Karl W. Ouimette poursuivra ses études universitaires (« W » est la première lettre du nom de famille de sa mère, Natalie Waskiewicz). Si l’obtention de son bac en administration lui prendra cinq ans plutôt que trois, il mènera à coup sûr ce projet à terme.

« Mon père est ingénieur et ma mère, physiothérapeute, dit-il. Ils ont fait de bonnes études et m’ont souvent répété de ne pas abandonner l’école. C’est important d’avoir un diplôme. Même si je joue jusqu’à 35 ans, il me restera ensuite beaucoup à faire dans ma vie. »

— Concilier une carrière d’athlète professionnel et des études universitaires, ce n’est pas trop exigeant ?

— J’ai toujours été bon à l’école. Et je trouve que les deux se complètent bien. Le soccer aide ma concentration durant mes cours. Tu te sens bien après avoir fait du sport. J’en suis à ma troisième session aux HEC et je m’en suis toujours sorti.

Demain, à Toronto, l’Impact tentera d’assurer sa place en séries éliminatoires. Karl Ouimette sera-t-il de la formation ? Pas sûr. Malgré son but décisif de samedi, il sait que la route pour obtenir un poste régulier demeure parsemée d’embûches.

Si l’entraîneur Marco Schällibaum fait appel à lui, Ouimette sera prêt. Et il pourra célébrer une éventuelle victoire sans risquer un mauvais résultat à un examen.

Aux HEC, c’est la semaine de relâche.

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