Éditorial  Équité salariale

Pauvres actrices !

Bien qu’en général leur rémunération demeure moins élevée que celle des hommes dans la même profession, le ratio salarial des Québécoises a augmenté ces 15 dernières années. C’est l’une des conclusions d’un document de l’Institut de la statistique du Québec.

Or, il existe une carrière qui résiste à cette tendance. Le génie ? La comptabilité ? La menuiserie ? Non. Le milieu artistique.

Une étude interne réalisée ce mois-ci par l’Union des artistes (UDA) auprès de ses 13 229 membres actifs et stagiaires (50 % hommes et 50 % femmes) montre qu’au contraire, l’écart des revenus entre les femmes et les hommes s’est creusé depuis une décennie.

En 2007, le ratio des femmes artistes était de 81,5 % par rapport aux hommes ; en 2015, il a chuté à 71,9 %. Dans un métier où les revenus moyens sont déjà sous le seuil de la pauvreté :  24 190 $ chez les hommes et 17 382 $ chez les femmes !

Autre tendance inquiétante : la courbe de l’âgisme dans les données sur les interprètes féminines. De 18 à 25 ans, les actrices gagnent des revenus comparables ou supérieurs à ceux des acteurs. Avec le temps, leur rémunération diminue comme peau de chagrin, jusqu’à l’âge de… 55 ans, alors que le revenu moyen des femmes se rapproche de celui des hommes.

Belle perspective d’avenir pour les étudiantes en interprétation au Québec ! Dépêchez-vous de trouver du boulot en sortant de l’école, les filles, car après 35 ans, vous devrez patienter pour les rôles de mamies.

On appelle ça le syndrome George Clooney. Un acteur, comme le bon vin, se bonifie avec le temps, tandis qu’une femme a une date d’expiration dissimulée entre les rides de son front.

Ça ne prévient pas quand ça arrive, mais un matin au réveil, une comédienne perd subitement son pouvoir de séduction auprès des producteurs ou des diffuseurs. 

Parlez-en à Sally Field. En 1988, la star jouait l’amoureuse de Tom Hanks dans Punchline ; cinq ans plus tard, on lui offrait le rôle de la mère du même Hanks dans Forrest Gump

Aux États-Unis, Amy Schumer a écrit un sketch hilarant sur le phénomène de l’actrice jetable parce que moins désirable. On y voit Tina Fey et Patricia Arquette célébrer le Last Fuckable Day de leur amie, Julia Louis-Dreyfus. Mieux vaut en rire.

Pendant ce temps, en médecine, en notariat, en journalisme, en politique, les femmes investissent le champ des professions, visant la parité et l’égalité salariale. Quelle ironie de voir l’inégalité sévir dans un milieu qui se targue d’être à l’avant-garde des changements sociaux.

« C’est très long de changer les perceptions et les mentalités, estime la présidente de l’UDA, Sophie Prégent. On va continuer de cogner sur le clou et de travailler fort pour dénoncer l’âgisme et le sexisme. »

Le pouvoir de séduction ne devrait pas être le seul atout dans ce métier. Et les perspectives d’emploi devraient suivre la courbe du talent, de la compétence et de l’expérience. Le public n’est pas dupe. Il désire autant voir Meryl Streep que George Clooney.

Plus d’argent, moins de femmes

L’écart de revenus entre les sexes est visible dans tous les domaines où l’on embauche des interprètes : cinéma, télévision, doublage, publicité ; même au théâtre. Toutefois, dans les secteurs où il y a plus d’argent à gagner (cinéma, télévision, publicité), l’écart est plus grand. Par exemple, les femmes travaillant à la télévision ou au cinéma ne touchent que 39,2 % des revenus. Pour le doublage, les acteurs éclipsent les actrices dans (presque) tous les groupes d’âge. Chez les 25-34 ans, le fossé est énorme :  21 737 $ pour les hommes contre 7114 $ pour les femmes. Cela s’explique parce qu’au Québec, les interprètes doublent des films américains, et ceux-ci sont surtout des blockbusters avec une majorité de rôles masculins.

— Luc Boulanger, La Presse

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