Série Le monde comme il va

Des gars et des écoles

« Pourquoi les garçons décrochent plus ? Peut-être parce que l’école est conçue sur un modèle qui répond davantage aux besoins et aux intérêts des filles. »

Marc Tremblay est DG d’une école privée qui connaît une chose ou deux à la réalité des étudiantes. Le Collège Reine-Marie, fondé en 1956, n’a accueilli que des filles pendant 55 ans.

Puis, en 2011, petite révolution : on a admis une cohorte de garçons au sein de cette école secondaire du quartier Saint-Michel. Comment les intégrer ? Telle était LA question.

On a choisi d’y aller pour une mixité à deux vitesses. En classe, garçons et filles sont donc séparés. Dans le reste de la vie étudiante - récréations, dîners, activités parascolaires, etc. -, gars et filles se côtoient.

Marc Tremblay a été parachuté au milieu de l’année scolaire 2012-2013 au poste directeur du Collège Reine-Marie. Mais s’il a acquis une certitude, en 25 ans comme pédagogue (16 comme prof, 8 comme directeur), c’est celle-ci : plusieurs garçons ont besoin d’une école adaptée à leurs besoins.

« Les garçons doivent bouger le plus possible. C’est pourquoi le programme des garçons offre 12 séances d’éducation physique par cycle de 15 jours. C’est une heure par jour, quatre jours par semaine. »

S’adapter aux garçons, ça veut dire qu’il faut faire place à un peu de chaos dans la salle de classe, si j’ai bien compris les explications de Marc Tremblay et de Mario Provençal, responsable du pavillon des garçons.

Marc Tremblay : « Pour les filles, on sait que quand la cloche sonne à 8h, elles sont généralement prêtes à commencer à travailler. Elles ont moins de difficulté à rester assises pendant une heure et à écouter pendant cette heure. C’est moins le cas des garçons. »

Au Collège Reine-Marie, les profs permettent donc aux garçons de se lever dans les cours, de faire leurs travaux debout, s’ils le veulent.

Mario Provençal : « Je coache les profs, c’est nouveau pour eux. Après 10, 20 minutes, on change d’activité dans la classe, on crée des activités particulières. Vers la fin de l’heure, il y a parfois même de la musique. On change parfois de décor : certains cours ont lieu dans d’autres locaux, comme la bibliothèque ou l’auditorium. »

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Marc Tremblay et Mario Provençal en conviennent : l’approche du Collège est empirique. Elle ne convient pas à tous les garçons. Aux parents de choisir. « C’est basé sur nos expériences de pédagogues », dit le DG.

Et Marc Tremblay tente de choisir ses élèves et ses parents : l’immense majorité des recrues du Collège est choisie non pas sur la base du traditionnel test d’admission cher aux écoles privées, mais grâce à des entrevues avec l’élève et ses parents, une pratique peu répandue dans le privé.

Transparence totale : Marc Tremblay était directeur, jusqu’à l’an dernier, de l’école primaire de mon fils, une école pleinement mixte. J’ignorais tout de ses vues sur la mixité à l’école.

J’ai été fasciné par celles-ci parce que la seule réalité que j’ai connue, en 12 années de primaire et de secondaire, c’est les gars et les filles ensemble, tout le temps, partout dans l’école.

Je ne suis pas sûr que j’aurais eu besoin, à l’époque, d’une approche de mixité à deux vitesses, comme celle préconisée par le Collège Reine-Marie.

Mais je suis sûr que beaucoup de gars de mon âge auraient pu en bénéficier. Vous savez, le genre à toujours avoir envie de grouiller en classe…

Des gars pas bêtes du tout, mais qui ne se sont jamais adaptés à l’école. Le profil qui doit être bien représenté dans les 25 % de décrocheurs que produit le système secondaire québécois (15 % chez les filles).

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L’approche du Collège Reine-Marie pour « les boys », comme les appelle parfois Marc Tremblay, dépasse la salle de classe. C’est une philosophie qui dicte aussi la vie des étudiants hors de la salle de classe.

« Je me souviens d’une fois, au primaire, où deux gars s’étaient chamaillés dans la cour d’école. Ils avaient été envoyés dans mon bureau. À la direction, l’équipe croyait qu’il fallait les sanctionner. J’ai écouté les deux élèves. Ils m’ont raconté ce qui s’est passé. Et après les avoir écoutés, j’ai trouvé que ce qui s’était passé entre eux, eh bien ce n’était pas si grave, à mes yeux. »

Le directeur Tremblay ne les a pas sanctionnés. Parce que, juge-t-il, des garçons qui se chamaillent, c’est dans la normalité des choses.

« On tente d’éteindre trop rapidement l’énergie du garçon, par exemple en disant de ne pas courir dans les corridors, de ne pas se lever en classe, de prendre le rang. Pour beaucoup de garçons, cela leur demande des efforts constants. À mes yeux, il faut toujours réagir, mais être plus tolérant… L’avertissement « intelligent » a souvent plus d’impact positif que la sanction. »

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