Opinion

ATTRIBUTION DES CONTRATS PUBLICS
Un règlement à modifier à tout prix

En réponse au tollé de protestations, le ministre délégué à l’Intégrité des marchés publics et aux Ressources informationnelles, Robert Poëti, vient d’annoncer (le 15 août) la suspension de l’application de son règlement concernant l’octroi des contrats aux professionnels architectes et ingénieurs favorisant le plus bas soumissionnaire, et il annonce dans le même temps la formation d’un sous-comité dans le cadre du Forum d’échanges sur les contrats des organismes publics dans le domaine de la construction.

Une décision visant manifestement à acheter du temps dans un contexte de période électorale. Mais qu’on se le tienne pour dit, rien n’est réglé pour autant ! Loin de là !

LES ENJEUX DEMEURENT

En effet, depuis plusieurs années déjà, les associations professionnelles en architecture et en ingénierie tentent de faire connaître au gouvernement du Québec le rôle fondamental, voire déterminant, de leurs architectes et ingénieurs ainsi que leurs engagements et responsabilités à offrir et maintenir des standards de qualité élevés dans le domaine de la construction et du bâtiment ; mais rien n’y fait. La règle du plus bas soumissionnaire, pourtant décriée par tous, rend la vie dure aux gens de l’industrie, et ce, depuis fort longtemps.

Force est de constater que les villes ont imposé cette règle depuis de nombreuses années avec les répercussions pour le moins négatives que l’on connaît aujourd’hui : augmentation/explosions des coûts, judiciarisation des dossiers, relations conflictuelles entre clients/fonctionnaires et professionnels, chute manifeste de la qualité par manque de temps et d’argent consacrés à la conception et à la supervision des projets.

Honnêtement, entre vous et moi : est-ce qu’il vous viendrait à l’idée d’aller subir une opération à cœur ouvert en choisissant votre chirurgien-cardiologue selon le mode du plus bas soumissionnaire ?

Iriez-vous choisir un avocat pour une cause complexe sur la base du devis le plus alléchant – versus la compétence ?

Se poser la question, c’est y répondre ! Alors pourquoi devrait-il en être autrement quand il s’agit du choix d’un architecte ou d’un ingénieur pour concevoir un bâtiment privé ou public, créer une œuvre qui doit survivre au temps ou encore imaginer un espace de vie de qualité ?

RÔLE ET RESPONSABILITÉS

Le rôle de l’architecte reste encore trop souvent méconnu ou confus pour bon nombre de gens. Mais qui fait quoi dans le fond ?

Le rôle de l’architecte est fondamental dans la construction de la société civile. C’est lui qui conçoit nos hôpitaux, nos universités, nos écoles, nos résidences, sans oublier nos grands espaces urbains, pour ne citer que ceux-là. À titre de concepteur, il coordonne l’ensemble des travaux d’ingénierie dans la réalisation des projets. Si demain matin tous les architectes déposaient leurs crayons et cessaient d’offrir leurs services au rabais, c’est toute l’industrie de la construction et du bâtiment qui cesserait de fonctionner. Sans architecte il n’y a pas de construction possible. Il faut également considérer que les architectes et les ingénieurs ont des responsabilités légales qui dépassent largement celles de toutes les autres professions.

Dans ces conditions, la règle du plus bas soumissionnaire ne fait qu’augmenter les risques de poursuites et de conflits avec tous les effets pervers liés à la qualité des services, sans parler de la qualité de l’œuvre.

LA TARIFICATION POUR LES PROJETS PUBLICS DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

Depuis plus de 34 ans maintenant, le Québec possède une tarification basée sur le niveau de difficulté des différents projets. Une situation unique au pays et surtout enviable aux yeux de tous les architectes canadiens. Bien que cette tarification (soit le décret) n’ait pas été revue et adaptée depuis plusieurs années et qu’elle ne reflète pas l’évolution de la profession (révision datant de 1984), notamment en ce qui concerne l’informatisation de la pratique, il n’en demeure pas moins que cet outil a le mérite d’établir des règles de base pour fixer les honoraires à appliquer aux différents ouvrages.

La majeure partie des projets publics réalisés à date l’ont été sur cette base tarifaire et les professionnels, choisis sur la base de leurs compétences. Or aujourd’hui, c’est ce que le gouvernement veut abandonner en allant choisir les professionnels sur la base du prix uniquement… ou comment contribuer au nivellement par le bas en faisant outrageusement fi des conséquences pour la société à long terme.

CONSÉQUENCES ET AVENIR INCERTAIN

Et lorsque l’on parle de conséquences, on pense bien sûr à l’appauvrissement du paysage architectural et culturel du Québec dans son ensemble. Ce même Québec qui vient de se doter d’une politique nationale sur l’architecture dans le cadre de la refonte de sa politique culturelle pilotée par le ministère de la Culture. Ce même gouvernement qui, dans le même temps, décide de banaliser l’architecture en ordonnant des conditions inacceptables pour les architectes du Québec.

Contradiction flagrante s’il en est, entre les politiques du Conseil du trésor et le ministère de la Culture. Car est-il utile de rappeler que tout ceci est débattu et décidé au Conseil des ministres, et que ceux-ci devraient donc être conscients de l’impact de leurs décisions dans l’absolu ? Tout cela est donc incompréhensible.

Aujourd’hui, le coût des services en architecture est marginal et représente environ 1 à 2 % du coût d’un projet. Les 98 % restants représentent les coûts de construction et ceux-ci sont tributaires de la qualité de la conception, des documents préparés et des efforts consacrés au projet.

La règle du plus bas soumissionnaire proposée par le gouvernement porte sur ces 1 à 2 % névralgiques et essentiels pour la qualité des projets. Lésiner sur ces honoraires est une fausse économie et touche directement la qualité des projets.

Aller vers le plus bas soumissionnaire est un leurre. Ce ne sont que des économies à court terme pour le public qui en fera les frais à long terme.

En conclusion, le gouvernement doit absolument modifier ce règlement, revenir à un décret modernisé et surtout adapté aux conditions et à la réalité d’aujourd’hui. Il doit poursuivre l’engagement des professionnels du secteur privé basé sur leurs capacités et leurs compétences à réaliser des projets gouvernementaux.

Enfin, il serait important de rappeler que le décret qui régit les honoraires professionnels des architectes n’a pas été révisé depuis 1984 – soit 34 ans ! De plus, les tarifs horaires n’ont pas été indexés depuis neuf ans !

Existe-t-il une entreprise qui ne révise pas les salaires de ses employés en fonction de leurs compétences et ne les indexe pas en fonction du coût de la vie ?

Cela étant dit, sur la même période, les architectes et les ingénieurs fonctionnaires du Québec ont tous été augmentés et leurs salaires, indexés. Pourtant, ceux-ci n’ont aucune des responsabilités légales qui incombent aux professionnels du secteur privé. Cette situation est invraisemblable et inacceptable. Pourtant, les associations professionnelles ont interpellé à maintes reprises les autorités publiques et fait des doléances auprès du Conseil du trésor, mais jusqu’à présent sans succès…

Reste-t-il la grève pour se faire entendre et pour être un jour traité comme il se doit ?

Une affaire à suivre…

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