GRAND ANGLE

Vers un « New Deal » festivalier ?

Les grands festivals qui réclament une aide accrue des pouvoirs publics, voilà qui n’entre pas vraiment dans la catégorie « nouvelles ». Ni, si on a compris les propos de notre nouveau premier ministre, dans les priorités de son gouvernement qui cherche 3 milliards desquels il devra prendre quelques centaines de millions pour se mettre à l’heure numérique mondiale. Et vite. Et on ne parle pas du reste…

Nonobstant ces détails, les bonzes des grands festivals montréalais, Alain Simard (Festival de jazz, FrancoFolies, Montréal en lumière) et Gilbert Rozon (Juste pour rire), ont profité hier du déjeuner-conférence mensuel du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) pour expliquer leurs positions, communes et respectives, devant 300 convives attentifs. Le thème : « L’avenir des festivals à Montréal – Renouvellement et rayonnement international ».

Participaient aussi au panel – heureusement – Sébastien Nasra, concepteur de la vitrine d’exportation M pour Montréal, et Paul Arseneault, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Quand Gilbert Rozon leur en a donné la chance, les autres ont pu s’exprimer… M. Arseneault a d’abord expliqué que les festivals avaient beaucoup aidé la métropole à se sortir de la dèche touristico-urbanistique dans laquelle elle croupissait à la fin des années 80. Les festivals, qui font partie de « l’ADN de Montréal », ont des acquis certains – reconnaissance internationale, know-how, etc. – mais rien qui ne peut être imité, voire bonifié. Et attention à ce nouveau ralentissement dont on perçoit déjà les signes…

Rien d’« inimitable ». Même les spectacles extérieurs gratuits, cheval de bataille historique d’Alain Simard. OK, le maire de Boston est venu au Jazz, a vu « 100 000 personnes dans la rue avec une bière à la main et il a dit "on ne pourrait pas faire ça chez nous" ». Fort bien. Et, comme prétend Simard, les festivals, devant la montée du cinéma maison et de l’internet, peuvent bien représenter « le dernier rempart du spectacle vivant », il peut exister d’autres formules que la « recette » des grands festivals montréalais : spectacles en salle payants / gratuits à l’extérieur. Osheaga, le Festival d’été de Québec, où il faut payer pour accéder au site, sont autant d’exemples.

REVOIR LES PRATIQUES

Gilbert Rozon, de son côté, rêve d’un festival ininterrompu, comme à Édimbourg où sont présentés, « pendant un mois, 2200 shows par jour » – d’inégale qualité, on peut supposer –, une manne qui n’en attire pas moins touristes, journalistes et professionnels du spectacle dans cette ville écossaise de 500 000 habitants. À Montréal, ce super festival durerait les trois mois de l’été, ce qui donnerait raison à la modératrice d’hier, notre éminente collègue Nathalie Petrowski, pour qui « à Montréal, la vie est un long festival ».

« On ne quête pas. On n’est pas un centre de coûts, mais un centre de profits : on rapporte aux gouvernements plus qu’ils nous donnent ! »

— Gilbert Rozon, fondateur du festival Juste pour rire

Que faut-il alors ? Une volonté politique qui amènerait de nouvelles façons de financer les festivals, explique Gilbert Rozon, en supprimant les plafonds des subventions de façon à « soutenir la croissance ». Traiter, finalement, les festivals comme une grappe industrielle (qu’ils ne sont pas vraiment) en finançant la recherche et le développement (« R-D ») autant que l’exploitation, le risque et le droit à l’erreur, son corollaire : « Il faut que les jeunes promoteurs de nouveaux festivals aient le droit de se tromper… »

À 42 ans, Sébastien Nasra ne fait déjà plus partie des jeunes, mais il ne se trompe pas pour autant sur les différences avec ses prestigieux aînés. « Mon créneau consiste à rassembler ici, captifs, des industriels du showbiz ou à amener nos artistes dans de grandes vitrines ailleurs. Bien sûr, on a besoin d’argent, et même pas des millions, mais si l’argent ne vient pas, on va le faire pareil ! » Manon Gauthier, responsable de la culture au comité exécutif de Montréal, a annoncé hier la volonté de la Ville d’instituer un programme de vitrines pour l’ensemble des industries culturelles. Bonne idée.

Le 375e anniversaire de Montréal, dont Gilbert Rozon est l’un des commissaires, semble à tous un bon prétexte pour revoir les pratiques et les objectifs pour les grands festivals qui, pour bien des observateurs, semblent avoir atteint les limites de leur modèle conçu au début des années 80. Revoir aussi l’apport du fédéral qui, pour les événements québécois majeurs, serait passé en trois ans de 12 à 4 % des montages financiers.

À revoir peut-être aussi, le véritable impact des festivals sur la cité. Comme disait hier Sébastien Nasra, en s’adressant peut-être à Gilbert Rozon, « quand tu commences à te trouver cool, t’es plus cool du tout ».

À L’AGENDA

VIRTUOSES — Le trio Richard-Lipsky-Herskowitz propose ce soir une rencontre entre la musique classique, le jazz « postimpressionniste » et les musiques du monde. François Richard au piano et à la flûte, Helmut Lipsky au violon et le fulgurant Matt Herskowitz au piano. Plus une section de cordes en deuxième partie. Grand soir à L’Astral.

JAZZ CLASSIQUE — Steve Swallow se produira dimanche en clôture de la série Power Jazz, au Centre Segal des arts de la scène. Le célèbre bassiste jouera en compagnie du pianiste Andre White et des frères Doxas : Chester au saxophone et Jim à la batterie. À 20 h au Studio du Segal.

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