Chronique

Le plan B de Jérémy Gabriel

Un malaise flottait sur le plateau de Tout le monde en parle quand Guy A. Lepage a fait tourner les nouvelles chansons de Jérémy Gabriel, du disco pop aux sonorités robotiques déjà dépassées.

Les visages des invités, dont ceux de Ricardo Larrivée et de Guy Jodoin, trahissaient un inconfort qui traversait dans nos salons. Personne n’osait prononcer les mots fatidiques : c’est vraiment mauvais, cette musique trafiquée à l’Auto-Tune.

Pourquoi ce silence hypocrite, alors ? Pour une multitude de raisons. Parce que Jérémy Gabriel, 19 ans, en a arraché depuis sa naissance, parce qu’il a subi 23 interventions chirurgicales pour corriger son handicap et parce qu’on ne frappe pas une personne déjà à terre. L’ex-petit Jérémy est devenu, en quelque sorte, le porte-parole des victimes de bullying. Et on ne tire pas sur l’ambulance.

Tout ça est délicat, car Jérémy Gabriel, atteint du syndrome de Treacher Collins, a encaissé son lot d’insultes ignobles par rapport à son apparence physique.

Mais au-delà des commentaires désobligeants, dites-moi, qu’est-ce qui est pire : dire la vérité à ce jeune homme par rapport à son talent ou lui faire miroiter une carrière planétaire à la Céline Dion qui ne débloquera jamais ?

« Laissez-le donc vivre ses rêves, ça vous dérange en quoi que Jérémy Gabriel le fasse publiquement ? » argumenteront ses admirateurs. C’est vrai.

Ce qui m’agace, c’est le manque de distance critique qui existe par rapport à la démarche artistique de Jérémy Gabriel.

Les extraits que nous avons entendus dimanche soir, qui portent des noms creux comme Message Is Love, ne le propulseront pas au sommet du Billboard américain.

Pas besoin d’être Aldo Giampaolo pour le constater. C’est trop formaté, trop générique et zéro original. Du « eurodance » usiné en 1994. Pourquoi personne à Tout le monde en parle n’a osé effleurer la qualité de ce mini-album ? Ça ne rend pas service à Jérémy que de le surprotéger ainsi.

Aux Francs-tireurs, à la fin du mois de septembre, Benoît Dutrizac a fait admettre à Jérémy Gabriel que dans une audition à l’aveugle à La voix, aucun fauteuil rouge n’aurait pivoté pour lui. Ce qui est tout à fait juste.

Sur le marché hyper saturé de la pop commerciale, Jérémy Gabriel est désormais soumis aux mêmes critères impitoyables que les Marie Mai et Jérôme Couture. Les consommateurs achètent si c’est bon, et non parce qu’ils ont pitié ou qu’ils éprouvent de la compassion envers quelqu’un qui a été ridiculisé sur les médias sociaux. C’est la cruelle loi du marché.

J’ai lu sur Twitter que la musique à numéros de Jérémy Gabriel n’était pas pire que 80 % des chansons qui jouent actuellement à la radio commerciale. C’est absolument faux. C’est presque blessant pour les Cœur de pirate, Alex Nevsky, Charlotte Cardin, Karim Ouellet, Ariane Moffatt, Claude Bégin et Patrice Michaud.

Et comme Jérémy Gabriel se produit en anglais, il se bat contre Rihanna, Adele et Justin Bieber pour arracher sa place sur les ondes radiophoniques québécoises. Sincèrement, bonne chance.

Chez Rythme FM, l’extrait I Don’t Care de Jérémy Gabriel n’a pas encore été évalué par le comité d’écoute. Chez Rouge FM et Énergie, la pièce n’a pas été ajoutée à la liste de rotation, ce qui démarre mal une conquête de la planète.

Personne n’enlèvera la force de caractère et la détermination de Jérémy Gabriel. En entrevue, il se défend très bien. Il a été solide quand les questions autour de l’affaire Mike Ward se corsaient.

Jérémy n’est plus le petit garçon de 8 ans qui rencontrait le pape, couvé par d’ambitieux parents qui le poussaient à se surpasser. C’est un adulte réfléchi et intelligent. Oui, il faut viser haut dans la vie. Il faut également se prévoir un plan B, juste au cas où notre trajectoire dévie.

Malgré toute la sympathie qu’il inspire, Jérémy Gabriel n’est pas de niveau, même pas de niveau moyen, avec ses compétiteurs.

L’effet Jérémy

Par ailleurs, la présence de Jérémy Gabriel a poussé les cotes d’écoute de Tout le monde en parle à 1 112 000 téléspectateurs dimanche soir. La voix junior demeure en tête avec ses meilleurs chiffres de l’automne : 2 201 000 fidèles au poste. Vlog a été regardée par 1 312 000 personnes.

Jeudi soir, La relève de TVA (451 000) traîne toujours la patte derrière Les dieux de la danse de Radio-Canada (770 000).

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