Garde partagée

Séparés... et heureux ?

On ne fonde pas une famille pour la détruire. Mais une fois les éclats retombés, après la rupture, si douloureuse soit-elle, une nouvelle vie se dessine. Synonyme, pour certains, d’un épanouissement retrouvé.

Une fois la douleur de la séparation passée et si, seulement si, la garde partagée se déroule bien, que les parents constatent qu’ils ont désormais du temps. Ils peuvent prendre soin d’eux. À leur grande surprise, certains parents avouent qu’ils sont heureux de retrouver une vie sociale riche et équilibrée.

Olivia Leblanc, 32 ans, est séparée depuis un peu plus d’un an du père de sa fille de 4 ans. « C’est le bonheur, ose-t-elle avouer. J’ai retrouvé un équilibre de vie. J’ai du temps pour moi, j’ai pu recommencer à m’entraîner et je fais de petites escapades les week-ends où je n’ai pas ma fille. » 

Que l’on se rassure, elle n’était pas aussi enchantée il y a un an et demi lors de sa séparation. « J’étais complètement désemparée, mais aujourd’hui, je me sens très bien. Je pense que plusieurs parents sont heureux de vivre de cette façon. »

Selon elle, il n’y aurait aucun tabou à nommer tout haut les bons côtés de ces jours sans enfants. « Pourquoi ça ne serait pas accepté ? Je me sens très bien dans ce mode de vie. Je ne vois pas pourquoi ce serait mal vu d’avouer qu’on a du temps pour soi et qu’on s’épanouit. »

Denyse Côté, sociologue, professeure et directrice de l’Observatoire sur le développement régional et l’analyse différenciée selon les sexes (OREGAND), n’est pas étonnée. « Il y a quelques années, j’entendais déjà des couples affirmer sans complexe que la garde partagée était devenue un idéal pour eux. » 

La société évolue, les rôles et les responsabilités des parents aussi. « La mère n’est plus obligée d’être là sept jours sur sept comme avant. Il y a une trentaine d’années, quand une mère de famille voulait faire une activité seule comme s’entraîner, elle se sentait coupable » explique Denyse Côté. Elle ajoute que le loisir est devenu une activité individuelle et non plus familiale.

Prendre soin de soi

« Je prends soin de mon individualité et, dans ce contexte, la garde partagée correspond mieux à l’idée qu’on a du bonheur aujourd’hui. Les gens cherchent de nouveaux modèles. La garde partagée est une réussite parce qu’il y a un renversement des normes sociales et elle est devenue le modèle dominant, estime Denyse Côté. Elle correspond aussi à l’idée qu’on se fait de la nouvelle famille où les parents ont une responsabilité partagée. Même les couples qui sont toujours ensemble doivent se créer des espaces individuels importants qui leur sont réservés. »

« Franchement, qui ne peut pas être un bon parent 50 % du temps ? », s’exclame Mathieu St-Denis, 36 ans, qui partage la garde de son garçon de quatre ans et demi, en alternance tous les deux jours. Celui qui vient d’une famille unie a eu du mal à se faire à cette idée, lorsqu’il s’est séparé, il y a un peu plus d’un an. « Aujourd’hui, c’est la nouvelle réalité, la séparation des parents et la garde partagée. Mais on peut aussi pousser la réflexion sur la monogamie à long terme. Les soudures des couples sont moins solides aujourd’hui ? Est-ce qu’on se quitte parce qu’on est égoïste ou est-ce la fatalité du couple ? », s’interroge Mathieu.

Pour faciliter la vie de famille, il habite dans le même quartier que son ex-conjointe avec qui il a fondé une entreprise d’importation de meubles design. Pour lui, la relation avec son fils est précieuse. « Avec un jeune enfant, c’est toujours la maman qui est en première ligne, c’est elle qui allaite, le lien reste très fort. En étant séparé, ce lien est désormais partagé et j’approfondis de manière extraordinaire ma relation avec mon fils en étant seul avec lui », souligne Mathieu.

Il évoque aussi les inconvénients, qu’ils soient d’ordre financier (tout est en double) ou émotionnel. L’échec amoureux est difficile à surmonter. « C’est une montagne russe émotionnelle même si on accepte la réalité. Si mon ex-conjointe a un nouveau chum, si jamais un jour elle a un autre enfant… On reste toujours en lien avec la mère de son enfant », constate Mathieu, qui voit son fils tous les deux jours. « Quand il n’est pas avec moi, je me dis qu’il s’amuse avec sa mère, je suis réconforté… Et la beauté d’être libre la moitié du temps, c’est que je garde une vie sociale qui ressemble à la vie de célibataire d’autrefois ! »

« “J’envie mes amies en garde partagée, car j’aurais une semaine juste pour moi.” J’entends ça depuis 10 ans dans les couloirs de l’université », raconte Denyse Côté, sociologue. Y a-t-il moins de complexes à le déclarer aujourd’hui ? « Vous savez, beaucoup de mères ont intégré émotivement la garde partagée et sont bien contentes de vivre ainsi. C’est une preuve que la garde partagée est devenue socialement le modèle dominant. »

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