Choisir la stérilisation

« Mais attends, t’as pas encore eu d’enfants »

Mettre au monde un enfant ? Elle ne veut pas en entendre parler. Isabelle Arcoite, 26 ans, veut se faire stériliser depuis qu’elle est majeure. Malgré sa détermination, elle a essuyé de nombreux refus des médecins. Une situation qu’elle perçoit comme une incitation à devenir mère contre son choix.

À 26 ans, Isabelle Arcoite sait que son épanouissement personnel ne passera pas par la maternité. La cofondatrice de la plateforme d’éducation sexuelle On SEXplique ça et responsable de la comptabilité à la Fédération des femmes du Québec trouve son bonheur au travail. « Je vise une belle carrière, et pour moi, c’est ça qui va me satisfaire quand je me lève le matin », explique-t-elle.

Ce non-désir d’enfant est apparu tôt chez elle. À 18 ans, elle avait déjà pris la décision définitive de ne jamais tomber enceinte. Elle envisage alors une méthode contraceptive plus permanente : la stérilisation. Mais sa demande s’est heurtée au refus de quatre médecins. « C’est : “Mais attends, t’as pas encore eu d’enfants, toi !” Comme s’il n’y avait pas d’option de ne pas en avoir. »

Pour elle, cette question n’est « juste pas négociable ». Mais les médecins insistent : « Es-tu vraiment certaine de ta décision ? » Certains lui ont même demandé si elle avait déjà vécu un avortement, comme si c’était nécessaire pour appuyer son choix.

La cinquième gynécologue qu’elle a consultée récemment s’est montrée plus ouverte à l’idée, mais veut attendre ses 30 ans pour en discuter. En attendant, elle lui a proposé de revenir au stérilet. La jeune femme avait écarté cette méthode parce qu’elle avait provoqué des complications médicales et parce qu’elle souhaite arrêter la contraception hormonale.

« Tout mon développement s’est fait avec des hormones. J’en prends depuis que j’ai 14 ans. Donc je ne sais même pas de quoi mon caractère pourrait avoir l’air au naturel, réalise-t-elle. Je trouve ça vraiment troublant. »

Devant les portes fermées des gynécologues, Isabelle Arcoite se sent impuissante. « J’attends, c’est tout. J’essaye de convaincre les médecins. »

Elle n’est pas la seule dans cette situation. Mitche Desrosiers, qui a été à la tête d’un restaurant montréalais pendant sept ans, a aussi fait le choix de ne pas devenir mère.

« J’avais 8 ans, je savais que je ne voulais pas d’enfants. Et plus je vieillis, plus ça se confirme, je n’en veux pas. »

— Mitche Desrosiers

Quand elle en a parlé à son médecin, à 25 ans, sa demande de stérilisation a été écartée d’un revers de main. « Le docteur ne m’a même pas donné de papier, raconte-t-elle. Il a juste fait : “Pfaaa, non ! T’es bien trop jeune, oublie ça !” »

Dix ans plus tard, Mitche Desrosiers ne veut toujours pas d’enfants. Sa décision doit être approuvée par un gynécologue. « S’il juge que ça n’est pas des bonnes raisons, il va me dire non. Finalement, c’est lui qui a le dernier mot, et non pas moi, sur mon propre corps  », s’inquiète-t-elle.

La peur des regrets

L’argument souvent présenté aux patientes est celui du risque de regrets. En effet, plusieurs médecins semblent réticents à pratiquer des stérilisations chez de jeunes femmes. « On a eu tellement d’expériences dans le passé avec des gens qui changeaient d’idée, rapporte Marie-Claude Lemieux, chef du département de gynécologie à l’hôpital Notre-Dame. [Dans 10 ans], tu peux changer de conjoint, ou avoir un désir d’avoir d’autres enfants. »

Pour la gynécologue, la responsabilité est de taille. « Je suis quand même responsable de porter un geste que je ne peux pas défaire aussi bien que je voudrais. » Aussi, elle veut s’assurer au cas par cas que la patiente a bien exploré toutes les autres méthodes contraceptives, et qu’elle la convainque de son choix.

La Dre Lemieux précise qu’un formulaire de consentement peut être soumis aux patientes pour s’assurer que leur décision est éclairée.

Avoir des regrets, c’est impensable pour Isabelle Arcoite et Mitche Desrosiers. Toutes deux affirment avoir mûrement réfléchi à leur décision et préféreraient se tourner vers l’adoption si elles devaient changer d’avis. « Si je veux vraiment un enfant, je vais en chercher un qui existe déjà puis qui a besoin d’une famille. Mais même là, pour l’instant, ce n’est pas du tout dans mes plans », explique la restauratrice de 34 ans.

« Ce refus-là est basé sur des préjugés que des femmes devraient avoir des enfants, pas sur des raisons médicales, dit Sophie Mederi, co-coordonnatrice du Regroupement Naissance Renaissance, organisme féministe qui défend les droits et choix des femmes dans la période périnatale. Donc, pour nous, c’est une violence gynécologique de refuser. Il est temps que les femmes puissent décider du moyen de contraception qu’elles veulent. »

Justice reproductive

Les regroupements féministes déplorent le fait que certaines femmes se heurtent à des barrières dans l’accès à la stérilisation, tandis que d’autres y sont encouragées ou forcées. En 2017, l’Autorité régionale de la santé de Saskatoon s’est excusée auprès de sept femmes autochtones qui avaient été stérilisées contre leur gré en Saskatchewan après avoir accouché. L’année suivante, une nouvelle étude avait recensé des cas en Alberta, au Manitoba, en Ontario et dans les territoires. Par ailleurs, au Québec, jusqu’en 2015, les personnes souhaitant changer de mention de sexe devaient subir une opération ayant pour effet de les rendre stériles.

« Finalement, on refuse de stériliser des femmes blanches, privilégiées, mais d’un autre côté, on stérilise celles qu’on ne souhaite pas voir procréer. »

— Sophie Mederi

Les féministes afrodescendantes aux États-Unis ont été les premières à dénoncer ces disparités, explique Geneviève Pagé, professeure de sciences politiques à l’UQAM. « Ce qu’on sait, c’est que les incitatifs à la maternité sont très différents en fonction de la classe sociale à laquelle appartiennent les femmes, en fonction de la racisation qu’elles vivent, dit-elle. Toutes ces pressions-là, d’un côté comme de l’autre, font partie du même système de contrôle du corps des femmes. »

La Dre Lemieux reconnaît que les ligatures sont plus facilement proposées à des femmes issues de milieux précaires. « Si on accouche quelqu’un qui est sur une liste de DPJ, qui a eu plusieurs enfants qui lui ont été retirés, c’est sûr qu’on fait un counselling avec la travailleuse sociale pour faire valoir l’idée que revivre cette situation-là, ce n’est pas idéal, et on peut lui offrir une ligature. On ne la forcera pas à en avoir une. C’est juste une des recommandations », précise-t-elle.

Pour elle, il ne s’agit pas d’un deux poids, deux mesures, mais d’une évaluation des besoins selon le contexte. « Je pense que ce sont des personnes de milieux complètement différents, qui n’ont peut-être pas les mêmes besoins, et on doit répondre aux besoins de la personne », explique-t-elle.

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