Chronique

Laïcité, égalité et pluie glacée

J’avoue que je n’avais pas vraiment envie d’aller couvrir la manif des Janettes.

Parce qu’il faisait un temps horrible. Froid, pluvieux.

Parce que c’était samedi.

Parce que j’avais peur de ce que j’allais entendre, de ceux que j’allais rencontrer.

On sait tous qu’il y a des gens parfaitement ouverts d’esprit, inclusifs, tolérants, brillants, allumés qui font partie de ce mouvement pro-Charte, pro-laïcité, pro-égalité.

Mais on sait tous aussi qu’il y a dans cette mouvance une minorité qui se cache derrière le principe de la laïcité pour justifier une certaine xénophobie, une envie que le Québec ne change pas de visage. Et cette minorité, je n’avais pas envie de la rencontrer.

Je suis donc partie chez les Janettes à reculons, avec mon crayon de plomb des manifestations étudiantes de l’an dernier, qui ne coule pas sous les gouttes de pluie, qui ne fige pas au froid. À force de couvrir ce genre d’événements, on apprend. J’avais juste oublié mes gants.

Quand je suis arrivée, à pied, à l’angle des rues Bleury et Sainte-Catherine, que j’ai aperçu la mer humaine qui marchait le long du Complexe Desjardins, vers l’est, ça m’a fait penser aux manifs de l’an dernier, évidemment. Surtout, en plus, que Martine Desjardins, une des leaders du mouvement étudiant du printemps érable, s’est rapidement mise à marcher devant la bannière de tête en hurlant des slogans. « So-so-so, so-li-da-rité, avec les Janettes, du monde en-tier ! »

Rendue là, je me suis dit que ça valait la peine de m’être déplacée. Il se passait quelque chose. Il y avait une histoire et un monde fou. Janette Bertrand malgré ses 88 ans, dans une nacelle en train de parler à la foule. Julie Snyder avec une extinction de voix, quand même au micro à remercier les marcheurs de s’être déplacés malgré le temps plus que maussade. Et des milliers et des milliers de personnes partout sur la place, comme durant les festivals. Comme avec les étudiants. Une foule qui couvrait la place et qui la couvrait encore un peu, même quand elle s’est mise à marcher, pour tourner vers l’est devant la Place des Arts et filer au-delà du Théâtre du Nouveau Monde avec ses pancartes et ses parapluies.

La moyenne d’âge ? Plus élevée qu’au printemps dernier, c’est clair. Beaucoup moins de tatouages aussi, et beaucoup plus de fleurs de lys. Il y avait l’éditeur et candidat à la mairie Michel Brûlé, le seul pro-Charte chez ceux qui font campagne. Il y avait Chantal Renaud, qui a lu un texte de Loco Locass à la fin du parcours, il y avait l’auteure Djemila Benhabib, il y avait Akli Ourdja, de l’Association québécoise des Nord-Africains laïques. Il y avait aussi, notamment, la comédienne Joëlle Morin, l’humoriste Jici Lauzon, le chanteur Paul Piché, la prof de philo Louise Mailloux… Et les organisateurs de la pétition pro-Charte du Rassemblement pour la laïcité, qui ont rappelé à la foule que pendant ce temps, hier aussi, en Arabie saoudite, les femmes manifestaient pour… le droit de conduire une voiture.

Et puis, il y avait beaucoup de femmes et beaucoup d’hommes venus d’un peu partout.

Il y avait notamment des enseignants qu’on entendait discuter entre eux des difficultés qu’ils ont à composer avec les exigences religieuses des parents des écoliers, au quotidien. « L’autre jour, à la réunion de parents, une mère est arrivée en burqa, avec un bébé de deux mois voilé », ont expliqué deux enseignants d’une école œuvrant au sein d’un des quartiers montréalais à forte concentration musulmane, à forte concentration immigrante.

Un bébé voilé ? Le genre de réalité qui plonge les enfants de la Révolution tranquille québécoise dans un certain désarroi.

La minorité intolérante que je croyais trouver ? Je ne l’ai pas entendue. Peut-être était-elle là quand même. Je ne le sais pas.

***

Il y avait beaucoup de voitures de police le long du parcours, mais la marche était calmissime.

Les slogans étaient respectueux, inspirés des classiques du syndicalisme d’une autre époque. « Laïcité, diversité, laïcité, égalité… » « On avance, on avance, on re-cule pas. On avance, on avance, on re-cule pas… » Je m’ennuyais presque de l’arrogance des étudiants.

Rendue à Saint-Laurent, je suis tombée sur des Femen – aux seins nus, ça va de soi – qui proclamaient que Dieu est féministe. Elles avaient l’air d’avoir un peu froid quand même. À Berri, la foule a tourné vers le nord, pour voir une banderole suspendue du viaduc Sherbrooke, qui disait que les Janettes sont des féministes racistes. Là, la foule s’est un peu agitée. La police qui regardait le cortège de là-haut a enlevé l’affiche provocatrice. Et la foule s’est mise à crier victoire, alors qu’on entendait quelques mesures de Stromae en boucle. Sous le pont, c’était rendu festif.

Lorsque la marche est arrivée à Cherrier, j’ai aperçu une jeune femme qui regardait la foule, plantée sur le trottoir. Elle portait un voile. Je suis allée lui parler. « Ça m’étonne, tout ça, parce qu’en venant ici, on pensait que personne ne nous dérangerait avec le voile, m’a expliqué Sadia Dalil en observant les marcheurs. On se disait que ça ne serait pas comme en France. »

— Ça vous dérange, ça vous inquiète de voir cette manifestation ?

— Pas du tout, a répondu la jeune femme, ce ne sont que des paroles. Ce n’est pas du tout violent comme dans d’autres pays que je connais, comme en Égypte ou en Tunisie. La marche, en fait, c’est bien, a-t-elle ajouté en souriant.

Et puis elle a repris son chemin. Les manifestants aussi.

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