L’AMOUR AU TEMPS DU NUMÉRIQUE

Cent likes ou rien

Il n’a jamais été aussi facile de trouver une occasion de rencontre sexuelle. Pour L’amour au temps du numérique, documentaire présenté en deux parties, lundi et mardi à 21 h à Télé-Québec, la réalisatrice Sophie Lambert a suivi six jeunes de 18 à 24 ans pendant huit mois. Tous fréquentent les applications de rencontres Tinder, Grindr, Badoo, et des dizaines d’autres, en quête de contacts la plupart du temps éphémères. Le portrait qui en est tiré est pour le moins déstabilisant.

Vous constaterez d’ailleurs que les six jeunes parlent assez crûment. Gabrielle, 21 ans, bisexuelle, accepte volontiers le titre de nymphomane. Dans son carnet, elle a noté ses baises avec 104 gars différents, avec les dates. Quand elle apprend qu’elle est enceinte, elle identifie quatre pères potentiels. Et ce n’est certainement pas sa grossesse qui l’empêchera de multiplier les conquêtes. Au début du premier épisode, elle explique sa méthode pour faire comprendre à un gars qui se pointe chez elle s’il l’intéresse ou pas. « Avec lui ou avec un autre, c’est pas mal toute pareil », dira-t-elle plus tard au sujet de ses conquêtes sexuelles.

Stef, 21 ans, s’entraîne, se fait bronzer, aime les filles « au gros cul » et habite le sous-sol de chez ses parents. Pour le satisfaire, une fille doit connaître deux, trois, même quatre orgasmes lorsqu’elle aboutit dans son lit. Sa mère Corina entend souvent ses ébats et ne s’en formalise pas ; elle fait même un high five à son fils lorsque deux filles sortent de sa chambre. Comme Dodo dans Les Bougon.

Mannequin, gai, Stevo, 24 ans, soigne énormément son apparence. Quand il publie une photo de lui sur Instagram, la plupart du temps torse nu, et qu’elle n’atteint pas les 100 mentions « j’aime » en une heure, il l’efface. Rien ne doit laisser poindre un seul défaut. Pourtant, quand il parle, il tient des propos plus intelligents et sensibles que l’image superficielle qu’il projette. Et il admettra que cette étiquette de boy toy, qu’il entretient pourtant, lui pèse lourd.

À un certain moment, j’avais presque l’impression de regarder un sketch de Like-moi, la nouvelle série humoristique de Marc Brunet sur les relations affectives de la génération Y que diffusera Télé-Québec cet hiver. Les jeunes analysent chaque texto, s’affichent sans pudeur, ont des critères un peu trop précis. « Une fille pas rasée, c’est bye », dira un des gars.

On pourrait se surprendre devant tant (trop ?) de franchise de la part des jeunes témoins. On suit même Stevo lorsqu’il apprend qu’il a contracté une chlamydia, dans une clinique de détection des infections transmissibles sexuellement.

En même temps, on n’a jamais vu une génération protéger aussi peu son intimité, qui s’affiche ouvertement, autant en paroles qu’en photos. La documentariste réussit toutefois à percer ce qui lui sert de carapace.

Parce qu’en apparence, ils semblent vivre tout à fait sereinement leur amour libre et racontent avec amusement leurs techniques de drague. Mais on n’a pas à gratter longtemps pour percevoir que cette assurance cache un profond sentiment de solitude. En se voyant à plus long terme, la plupart s’imaginent pourtant en couple, et même avec des enfants. Mais quand on leur parle de fidélité, ou de l’amour qui dure une vie, ils éclatent de rire.

Sophie Lambert, qui signe certainement ici son meilleur documentaire, a pris le pari de suivre ces jeunes sans les juger, mais en tentant de comprendre leur quête et leurs désirs. Pas toujours facile d’en faire autant comme simple spectateur. Quoiqu’on serait bien malvenu de prétendre que les générations qui ont précédé ont mieux réussi en matière de relations de couple. Difficile d’ailleurs de ne pas y voir l’héritage de décennies de divorces et de déceptions amoureuses…

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