OPINION PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE

Fillon joue à Donald Trump

Il a décidé de rester. Le candidat de la droite et du centre à la présidentielle française, François Fillon, s’accroche. Contre vents et marées, il poursuit sa course vers l’élection, convaincu qu’il peut déjouer le sort et finir par devenir président.

Il y a du Donald Trump chez cet homme posé, élégant et poli. Il lui a emprunté tous les tics, sans la vulgarité, afin de rassembler les électeurs et de triompher de ses adversaires. D’abord, il y a le positionnement idéologique. Fillon se présente en candidat antisystème qui veut « casser la baraque » en mettant au pas les lobbys, les syndicats, les fonctionnaires pour libéraliser l’économie et placer l’État au service des citoyens.

Puis, il y a la rupture avec les élites, celles de sa famille politique en premier lieu. Il a gagné la primaire de la droite et du centre malgré les appareils de partis, malgré les sondages, malgré les gros bonnets comme Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Et lorsque le « Penelopegate » a éclaté et que députés et collaborateurs ont commencé à le lâcher, il a dit que sa « campagne [pouvait] faire sans eux », comme Trump l’a fait lorsque sénateurs et représentants l’ont déserté après les révélations scabreuses sur sa vie sexuelle ou ses liens d’affaires au parfum douteux.

Enfin, lorsque les juges l’ont convoqué pour le mettre en examen dans l’affaire des emplois fictifs de membres de sa famille, Fillon a accusé la justice d’« assassinat politique ».

Il a du même coup maintenu sa candidature à l’élection, reniant la promesse faite aux Français de se retirer si les juges l’inculpaient. Aujourd’hui, il s’en remet au tribunal du peuple et « au seul jugement du suffrage universel ».

L’hypothèse d’un remplaçant ayant été écartée avec le refus d’Alain Juppé de se présenter, Fillon est plus « trumpien » que jamais. « C’est moi ou le chaos », dit-il en substance à sa famille politique qui oscille maintenant entre le ralliement et la rupture.

Mais Fillon joue gros. Contrairement au président américain, il est un pur produit de l’establishment. Le système qu’il se plaît si bien à dénoncer l’a formé, l’a nourri. Il en était une des têtes dirigeantes à l’époque où il fut premier ministre de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012. Si aujourd’hui la France est dans une impasse politique, économique et morale, il en porte une grande part de responsabilité.

Affaibli

Ébranlé politiquement par la crise au sein de son camp, Fillon l’est aussi moralement. « Monsieur Propre » ne l’est plus. Et c’est sans doute de ce côté qu’il est définitivement affaibli et pour cette raison qu’il perdra le vote populaire.

En France sans doute plus qu’ailleurs, une grande partie de l’électorat est en rupture totale avec la politique et ses représentants. Brice Teinturier, directeur général de l’Institut de sondages Ipsos, vient de publier un livre où il décrit l’apparition d’une force électorale écœurée par les échecs répétés de la droite et de la gauche et révoltée par les affaires de corruption. Cette force a maintenant un nom : le PRAF pour « Plus rien à faire, plus rien à foutre » de la politique.

Ce bloc rassemble environ 30 % des électeurs. Il s’est constitué au fil des ans autour de nombreuses frustrations : celle de ne plus être écouté, celle de ne plus rien attendre de la démocratie, celle d’assister impuissants aux petites guerres de clans, celle de vivre l’effondrement de la morale publique et la crise de l’exemplarité des dirigeants.

Pendant un moment, en novembre dernier, François Fillon a projeté l’image d’un homme intègre et transparent.

Il était un des rares à n’avoir jamais été soupçonné de rien (Sarkozy et ses multiples démêlés judiciaires) ou condamné (Juppé pour emplois fictifs). Il pouvait séduire au sein du bloc du PRAF. Quelques semaines plus tard, le « Penelopegate » a éclaté. On découvrait qu’il était donc comme tous les autres.

Le 23 avril prochain, lors du premier tour de l’élection présidentielle, le « jugement du suffrage universel » tombera. Il est loin d’être certain que les tics à la Donald Trump produiront les résultats recherchés par Fillon.

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