Les parties convoquées devant le médiateur

Malgré la convocation lundi matin, le syndicat menace de déclencher une grève générale illimitée la journée même, l’employeur n’ayant toujours pas retiré ses changements aux horaires

Le Syndicat des débardeurs du port de Montréal, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 375, a annoncé vendredi matin qu’il entamerait une grève générale illimitée le lundi 26 avril à 7 h.

La grève toucherait quelque 1150 débardeurs, contremaîtres et travailleurs de l’entretien.

Le préavis de 72 heures que le syndicat a fait parvenir à l’Association des employeurs maritimes (AEM) est devenu nécessaire après la modification des horaires de travail qui avait été annoncée jeudi par l’AEM, soutient le syndicat.

« Même si l’employeur prétend dans son communiqué qu’il a à cœur le bien-être de ses employés, pour nous, c’est de la poudre de perlimpinpin », a affirmé Michel Murray, porte-parole du Syndicat des débardeurs, lors d’une conférence de presse tenue vendredi midi.

Ce changement d’horaire « va avoir un impact négatif sur la conciliation travail-vie personnelle, alors même qu’on est à une table de négociation pour tenter de trouver une entente pour modifier les horaires de travail avec nos gens », a-t-il insisté.

Il a fait savoir que si l’employeur retirait la mesure d’horaire à quarts – par opposition à l’horaire en présence continue – qu’il veut mettre en place le lundi 26 avril, le syndicat renoncerait sur-le-champ aux grèves partielles entamées le 14 avril et à la grève générale prévue lundi.

« La balle est dans le camp de l’employeur », a lancé le porte-parole syndical.

« Le port peut dès aujourd’hui reprendre ses activités normales. Il ne tient qu’à l’employeur d’arrêter de tirer à boulets rouges sur les hommes et les femmes qu’on représente. »

— Michel Murray, porte-parole du Syndicat des débardeurs du port de Montréal

En milieu d’après-midi, l’Association des employeurs maritime a répondu par voie de communiqué qu’elle était « toujours en attente d’une réponse du syndicat sur les deux contre-offres déposées le 15 avril dernier devant les médiateurs ».

Contre-attaques

Ce nouvel imbroglio fait suite à une série de mesures et de contre-mesures annoncées de part et d’autre depuis deux semaines.

Le 10 avril, l’AEM avait avisé qu’elle cesserait de payer les heures non travaillées à partir du 13, ce qui avait entraîné dès le 14 la riposte d’une grève partielle en soirée et les week-ends.

Devant cette baisse de productivité, l’employeur a annoncé le jeudi 22 avril qu’il morcellerait dès le 26 avril l’horaire en continu, qui associe normalement trois opérateurs à deux grues pour permettre la manipulation des conteneurs 24 heures sur 24.

Ces décisions visent à protéger la fluidité de la chaîne d’approvisionnement, se défend l’employeur.

Le syndicat rétorque qu’il s’agit d’un geste de provocation.

« Nos gens font cinq heures et vingt de travail par jour, et la modification de l’employeur va faire en sorte qu’elle va augmenter le nombre d’heures de travail à sept heures par jour de travail. »

— Michel Murray, porte-parole du Syndicat des débardeurs du port de Montréal

L’horaire morcelé ne permettrait plus aux travailleurs qui se partagent deux grues d’aménager leurs pauses pour « aller porter [leur] enfant à la garderie, parce que la garderie n’ouvre pas à 7 h », par exemple, a-t-il illustré.

Les salles de repos sur les quais seraient surchargées durant les heures de repas, ce qui obligerait les surnuméraires à manger dans leur véhicule, a-t-il ajouté.

Convoqués lundi devant le médiateur

En fin de matinée vendredi, les deux parties ont reçu un avis de convocation du Service fédéral de conciliation et de médiation pour le lundi 26 avril au matin, convocation dont le syndicat n’a pris connaissance qu’après sa conférence de presse.

« Nous serons au rendez-vous lundi », a indiqué l’AEM.

Entre-temps, le syndicat maintient son avis de grève, l’employeur n’ayant pas répondu à son offre de trêve, fait-il valoir.

Il assure que ses membres se conformeront aux dispositions du Code canadien du travail touchant les navires céréaliers et maintiendront les activités de débardage liées à l’approvisionnement de Terre-Neuve-et-Labrador.

Arrêt total immédiat des activités portuaires

L’Administration portuaire de Montréal (APM) déplore ce nouveau développement qui, avec la grève partielle déjà en cours durant les fins de semaine, entraînera dès ce samedi un arrêt complet et illimité des activités portuaires.

« Ce nouvel arrêt de travail est un frein au rôle clé que jouent les opérations portuaires dans la relance économique et entraînera des impacts importants et très concrets pour la population et les PME d’ici. »

— Martin Imbleau, président-directeur général de l’Administration portuaire de Montréal, dans un communiqué

L’AEM souligne que le week-end de grève des 17 et 18 avril a déjà immobilisé 10 000 conteneurs EVP (équivalents vingt pieds).

De son côté, le bureau de la ministre canadienne du Travail, Filomena Tassi, a relevé qu’aucun progrès n’avait été réalisé depuis le début de la semaine, malgré les contacts avec les médiateurs.

« Les entreprises du Québec et de l’Ontario et notre économie dans son ensemble ont besoin de voir cette situation résolue rapidement », a-t-on indiqué par courriel. « Cette nouvelle escalade est très préoccupante. Comme nous l’avons déjà dit, nous examinons actuellement toutes les options. »

— Avec Karim Benessaieh, La Presse

Les réactions

FCEI

Pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), qui compte quelque 100 000 membres, le déclenchement d’une grève en ce moment est « le pire scénario ». « Seulement 56 % des PME à l’échelle du pays ont complètement rouvert ; ce n’est pas comme si ça allait déjà super bien », dit Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales. Il dénonce le fait que la ministre fédérale du Travail, Filomena Tassi, n’ait pas brandi la menace d’une intervention d’Ottawa en cas de conflit de travail. « Son silence n’a pas porté ses fruits… »

Commerce de détail

Pour les détaillants, le moment est particulièrement délicat pour une interruption des activités du port. « On est en changement de saison, le matériel entre pour l’été, rappelle Jean-Guy Côté, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). Depuis que la nouvelle est sortie, le téléphone ne dérougit pas. » Vélos, articles de quincaillerie, vêtements, articles de sports, fruits et légumes dans le secteur de l’alimentation, certains importateurs ont même déjà pris leurs dispositions avec d’autres ports, indique-t-il, notamment celui d’Halifax. « Mais il est déjà saturé […] et ça coûte plus cher. »

Camionneurs

Selon une étude de la firme montréalaise Acronyme, l’impact économique d’une grève prolongée au port de Montréal peut s’élever jusqu’à 53,6 millions par jour et ses effets persister pendant des années. « Avec la pénurie de main-d’œuvre, même quand on veut faire du rattrapage, on n’a pas les ressources pour mettre les bouchées doubles », prévient Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec. Une grève entraînerait des pertes dans toutes les industries qui dépendent des 2400 conteneurs transportés tous les jours par les camionneurs, rappelle-t-il.

Manufacturiers

L’incertitude qui plane au-dessus du port de Montréal depuis décembre 2018, alors que les débardeurs sont sans contrat de travail, doit cesser, plaide Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ). « Ce n’est pas rassurant pour les manufacturiers, ça génère beaucoup d’incertitude », plaide en entrevue Véronique Proulx, PDG. Elle aussi demande une intervention rapide d’Ottawa. « On joue dans le même mauvais film que l’été dernier, a-t-elle par ailleurs déclaré par communiqué. Une grève illimitée aura des impacts importants pour les manufacturiers et exportateurs du Québec, mais aussi ailleurs au Canada. »

Déclaration commune

En mars dernier, 450 responsables d’entreprises et d’organismes économiques avaient signé une déclaration enjoignant à Ottawa de se prononcer clairement contre un arrêt de travail. Ce vendredi, six des principaux signataires ont réitéré cet appel. « La situation au Port de Montréal est exactement là où l’on redoutait qu’elle se rende », a déclaré Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Pour Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec, « le port de Montréal est un maillon essentiel de l’ensemble des chaînes d’approvisionnement au Québec ».

— Karim Benessaieh, La Presse

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