Dossier

Le génie linguistique des tout-petits

« Les bébés et les enfants sont des génies jusqu’à ce qu’ils aient 7 ans. Ensuite, il y a un déclin systématique. » La conférence TED donnée par Patricia Kulh, codirectrice de l’Institute for Brain & Learning Sciences de l’Université de Washington, a été vue plus de 1,2 million de fois sur l’internet. Génies du langage, les bébés ? Oui ! disent les chercheurs.

« C’est incroyable ce que les nouveau-nés peuvent faire », affirme Krista Byers-Heinlein, professeure adjointe et directrice du Laboratoire de recherche sur l’enfance de l’Université Concordia.

Avec des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique, Krista Byers-Heinlein s’est penchée sur le bilinguisme chez les nouveau-nés. L’étude a démontré que bien qu’un nouveau-né ne comprenne pas la signification des mots qu’il entend, il peut reconnaître les langues auxquelles il a été exposé pendant la grossesse et les différencier.

« Le plus tôt est le mieux », affirme Fred Genesee, chercheur au département de psychologie de l’Université McGill qui a fait des enfants élevés en milieu bilingue sa spécialité. « Le cerveau de l’enfant est plus flexible et est à l'aise avec tout ce qui arrive. Plus l’enfant vieillit, plus il peut être difficile d’introduire une nouvelle langue dans la famille parce que ça change le pattern. » 

Selon un rapport sur le développement de la petite enfance du Conseil national de recherche et de l’Institut de médecine des États-Unis, la capacité d’apprendre une langue est optimale dès la 34e semaine de la grossesse jusqu’à l’âge de 12 mois, à cause de la période où les synapses du cerveau se forment.

Un sondage CROP mené en 2006 a démontré que presque tous les Québécois (98 %) estiment qu’il est important que les enfants apprennent une langue autre que le français. M. Genesee constate cependant que plusieurs parents sont réticents, à tort, d’élever leur enfant dans un contexte bilingue. 

« Les enfants qui apprennent deux langues dès la naissance passent à travers le même processus de développement que les enfants unilingues, même s’ils apprennent deux fois plus », assure-t-il.

Selon Krista Byers-Heinlein, les enfants (et les adultes) bilingues présentent même certains avantages cognitifs comme une plus grande flexibilité mentale, en raison, pense-t-on, de leur habileté à passer d’une langue à l’autre.

Pour Laurie-Anne Picard, mère de deux garçons bilingues, le désir d’apprendre à ses enfants le français et l’anglais, la langue maternelle de son conjoint, ne faisait aucun doute. C’est plutôt la façon de s’y prendre qui suscitait en elle des interrogations. « Quand j’ai accouché de mon premier garçon, j’étais dans un milieu anglophone, raconte celle qui vivait à l’époque en Ontario. C’est sûr que je voulais qu’il apprenne le français. Mais, au début, la question de savoir quand lui parler français m’a beaucoup embêtée. Et quand il y avait d’autres gens anglophones, je ne savais pas trop quelle langue parler. »

Un défi pour les parents

Les chercheurs s’entendent pour dire qu’il peut être utile que les parents mettent au point une stratégie. « Je dis souvent aux parents que ce n’est vraiment pas un défi pour les enfants, mais c’en est un pour eux », note Fred Genesee.

Selon Krista Byers-Heinlein et Fred Genesee, la stratégie « un parent, une langue » est un mythe. Aucune étude n’a démontré que l’enfant sera confus si ses deux parents parlent indifféremment l’une ou l’autre des langues.

« Il faut avoir une stratégie pour être certain que l’enfant va suffisamment entendre la langue qu’on veut qu’il apprenne, expose Krista Byers-Heinlein. Si les deux parents sont bilingues et veulent parler dans les deux langues, ça va. À la garderie, au CPE ou la nounou qui parle une autre langue, ça pourrait marcher. Mais un cours d’une heure par semaine ne va pas être suffisant pour maîtriser une langue. » 

Actuellement, dans la majorité des écoles primaires québécoises, une ou deux heures par semaine est consacrée à l’enseignement de l’anglais langue seconde. L’enseignement intensif de l’anglais obligatoire en 6e année d’ici 2015 a récemment été abandonné par le gouvernement Marois.

L’apprentissage d’une langue à la garderie est la stratégie qu’ont choisie Geneviève Paradis et son mari, tous deux francophones, pour permettre à leurs deux enfants d’apprendre l’anglais. Résidant à Beaconsfield, dans l’ouest de l’île de Montréal, ils envoient leurs deux enfants dans une garderie bilingue.

Même si la famille ne parle que français à la maison, les enfants âgés de 2 et 4 ans sont aujourd’hui bilingues. Un léger retard de langage chez l’aîné a toutefois fait douter les parents des bienfaits de cette pratique. « Je me suis demandé si le fait qu’il apprenne deux langues pouvait être une des causes, indique Geneviève Paradis. Mais, l’orthophoniste que nous avons consulté nous a dit que c’était normal, qu’il était encore en train d’acquérir ses capacités langagières. »

Retard de langage

Le bilinguisme ne cause pas le trouble du langage, soutient Chantal Desmarais, chercheuse et enseignante à la maîtrise en orthophonie à l’Université Laval. « Le fait d’être exposé à deux codes, c’est sûr que c’est une demande de plus pour l’enfant, mais ce n’est pas ça qui va causer un trouble de langage. » Aux parents d’un enfant bilingue qui présente des difficultés, elle recommande de ne pas changer leurs habitudes à la maison. 

Même si les enfants sont des génies, il ne suffit toutefois pas de les asseoir devant la télévision pour leur apprendre une langue. « L’enfant va apprendre le langage en l’entendant et en étant socialement engagé dans des interactions », explique Chantal Desmarais. Le fait de côtoyer d’autres enfants qui parlent sa langue peut aussi aider, une réalité plus facile à mettre en pratique à Montréal qu’en région. 

Y a-t-il une limite au nombre de langues qu’un enfant peut apprendre ? « On ne connaît pas la limite, répond Krista Byers-Heinlein. Je dirais que la limite est surtout le nombre d’heures dans une journée. Une quinzaine de langues, c’est sûr qu’il n’y a pas assez d’heures ! »

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Le nombre d’enfants québécois de 0 à 14 ans ayant l’anglais et le français comme langue maternelle (données : Statistique Canada, recensement 2011).

Des applications pour apprendre les langues

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De petites œuvres d’art pour apprendre l’alphabet (en anglais). 0,99 $ sur l’App Store. https://itunes.apple.com/app/animal-alphabet-hd-by-fish/id431729625?mt=8

Baby Learns Color

Une façon divertissante d’apprendre les couleurs (en anglais). Version Lite gratuite, version complète 2,99 $ sur l’App Store. https://itunes.apple.com/us/app/baby-learns-colors/id475439817?mt=8&ign-mpt=uo%3D4

Logic

Pour apprendre les couleurs, les formes, les lettres et les chiffres (en cinq langues), 0,99 $ sur l’App Store. https://itunes.apple.com/us/app/logic/id427796548?mt=8

Livres de contes de Chocolapps

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