Chronique

Les Janettes et les psys scouts

Elles ne sont pas aussi nombreuses que les défuntes Yvettes, mais leurs voix portent autant. Je parle des Janettes qui, sous les auspices de leur chef Janette Bertrand, viennent de s’inviter dans le débat sur la Charte et sur son aspect le plus médiatisé : le voile.

Estimant que l’égalité des sexes est compromise par le retour du religieux dans les institutions publiques, les 21 Janettes se sont déclarées pour la Charte dans une lettre ouverte publiée dans les journaux.

Hier, leur lettre venait à peine d’être publiée que déjà, on accusait les Janettes d’être passéistes, rétrogrades, paternalistes et le pire qualificatif de tous : vieilles, donc un peu gâteuses, un peu radoteuses et complètement à côté de leurs pompes.

Permettez que je me porte à leur défense. D’abord, exception faite de Janette, 88 ans et de Denise Filiatrault, 82 ans, les autres Janettes sont dans la trentaine, la quarantaine ou la cinquantaine, bref, elles ne sont pas toutes du même moule générationnel. Elles ne sont pas non plus issues du même moule professionnel puisque certaines sont comédiennes, scénaristes, écrivaines et productrices et d’autres, travailleuses sociales, enseignantes, étudiantes ou militantes. Certaines, comme Julie Snyder, Denise Robert, Chantal Renaud, Michelle Blanc ou Édith Cochrane sont connues, d’autres, pas du tout.

Ce sont pour la plupart des féministes qui ont vu le Québec se libérer du joug de l’Église catholique et les femmes prendre leur place dans une société de plus en plus laïque. Celles qui n’ont pas vécu cette révolution parce qu’elles n’étaient pas encore nées se sont fait raconter par leur mère ou leur grand-mère comment c’était quand l’Église était omniprésente, omnipuissante et décidait tout pour tout le monde. Elles ne veulent pas retourner en arrière et je les comprends. Personne ne veut retourner à la Grande Noirceur d’antan.

Hier, dans les médias électroniques, ce sont surtout les voix de Janette et de Denise Filiatrault qu’on a entendues. Et comme ni Janette ni Denise ne sont de politiciennes de métier, elles ont semblé parfois confuses ou un brin échevelées. Il y a eu dérapages et des propos qui manquaient de nuances. Mais je préfère mille fois le manque de nuances de ces dames d’un certain âge qui, en passant, n’ont pas une cellule raciste ou xénophobe en elles. À ce sujet, qu’on se souvienne seulement de Hairspray, la comédie musicale multiculturelle, multiraciale et inclusive montée par Denise Filiatrault l’été dernier.

Oui, je préfère mille fois les dérapages des Janettes que certaines divagations des 19 psys scouts qui ont signé une lettre contre la Charte dans le quotidien The Gazette au même moment.

D’abord les signataires, des messieurs, pour la plupart issus du département de psychiatrie de McGill, n’évoquent pas une seule fois la question de l’inégalité entre les hommes et les femmes véhiculée par les différentes religions. Ils fondent leur propos uniquement sur le respect des droits de la personne, sans égard pour les droits souvent bafoués des femmes. Leur apologie d’une société où la diversité mène le bal et encourage le dialogue entre les différentes races, cultures et religions est louable et, dans un certain sens, rejoint le discours du gouvernement Marois, bien qu’ils refusent de le reconnaître.

Mais là où les psys scouts dérapent en grand c’est lorsqu’ils écrivent et je cite :  «  La preuve a été faite que ceux qui pratiquent une religion ou toute autre tradition morale ou spirituelle ont une meilleure santé mentale. »

Pardon ? Est-ce que j’ai bien lu ? Puisque je ne pratique aucune religion et ne me promène pas avec un dieu portatif sur ma tête ou autour du cou, je suis quoi ? En moins bonne santé mentale ? Déprimée ? Dépressive ? Peut-être même carrément folle ?

Parce que je ne prie pas, je suis donc perdue et dépositaire d’une vision du monde qui est forcément noire, pessimiste et privée de sens ? Et les kamikazes qui se font sauter dans des autobus bondés au nom d’Allah, eux, sont-ils en meilleure santé mentale que moi ? Et tous les prêtres pédophiles pratiquants que l’Église catholique a engendrés et protégés, eux aussi étaient plus équilibrés et épanouis que moi ?

Que d’éminents chercheurs et profs d’une grande université comme McGill puissent endosser de telles énormités dépasse l’entendement. Ce qu’ils nous disent, c’est que ceux qui ont la certitude de l’existence de Dieu ont une supériorité mentale et morale sur ceux qui doutent. Autant dire que je doute que j’aille un jour consulter ces messieurs.

Quant aux Janettes, je ne sais pas si elles doutent. Mais je crois comprendre qu’elles ont la conviction intime que les femmes au Québec ont fait trop de chemin sur la route de l’émancipation, pour le libre choix et contre la soumission à un maître ou à un dieu, pour retourner en arrière. À ce chapitre, je ne peux que leur donner raison.

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