Les Trudeau-Grégoire au paradis

Le dollar canadien sous les 0,70 $US, le baril de pétrole près des 30 $, les recettes fiscales en baisse, la création d’emplois fragile, les fortes secousses sur les marchés… Bof, calmez-vous, le gouvernement Trudeau a un plan.

Voilà, en gros, le message qu’est venu livrer hier à Montréal le ministre des Finances Bill Morneau.

L’homme est charmant, il s’exprime dans un français rouillé mais tout à fait convenable, et à l’entendre raconter dans le menu détail ses journées de travail, il est visiblement très heureux de son nouveau job. L’audience du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), qui avait invité le ministre, a même eu droit aux déboires de Bill Morneau dans une chambre d’hôtel de Halifax privée d’électricité.

Très bien, mais pour les mesures concrètes de relance de l’économie canadienne, il faudra vraisemblablement attendre le budget. Pour le moment, M. Morneau s’en tient à la « ligne » répétée mille fois par son chef pendant la campagne électorale : « Nous avons un plan ». Mieux encore : « Nous avons un plan pour stimuler l’économie et nous avons déjà commencé à le mettre en place », a ajouté Bill Morneau.

La réalité, c’est que les nouvelles économiques sont très mauvaises en ce début d’année et que le ministre Morneau et ses collègues vont se faire rattraper plus tôt que tard par les « vraies affaires ».

Pour le moment, toutefois, le gouvernement Trudeau flotte encore sur le moelleux nuage de sa lune de miel.

Qu’est-ce qui a retenu l’attention ces derniers jours ? Les vacances des Fêtes de la famille Trudeau-Grégoire à Saint-Christophe-et-Niévès (mieux connu sous le nom de Saint-Kitts-et-Nevis). Au-delà du « people » et du « glamour », cette histoire soulève une question : qui doit payer pour les vacances du premier ministre et de sa famille ?

Les tabloïds de cette région des Antilles se sont régalés du fait que les Trudeau aient choisi de louer une villa fréquentée par les gens riches et célèbres au tarif salé de 2500 $ par jour. On a vu, notamment, une photo de notre premier ministre torse nu sur la plage en train d’ériger un château de sable.

Même le site à potins TMZ s’est emparé de l’histoire, ajoutant quelques détails sur le séjour de la première famille canadienne dans cette villa de 3400 pi2.

Le bureau du premier ministre a précisé que celui-ci a payé de sa poche les 25 000 $ pour la location de la maison, ce qui est bien normal s’il souhaite s’offrir le grand luxe d’une villa décorée d’accessoires Hermès. Après tout, le premier ministre du Canada gagne près de 350 000 $ par année, il a les moyens d’offrir des vacances à sa famille.

Pour éviter les critiques, le bureau du premier ministre a aussi précisé que M. Trudeau remboursera au gouvernement l’équivalent du prix des billets d’avion (classe économique) pour chaque membre de sa famille, puisqu’il s’agit d’un voyage personnel fait, pour des raisons de sécurité, avec un avion gouvernemental.

Les Challenger du gouvernement canadien coûtent environ 10 000 $ de l’heure d’utilisation. Disons 20 heures = 200 000 $. Justin Trudeau remboursera donc entre 5000 $ et 10 000 $ sur 200 000 $. Broutilles. À force d’avoir peur d’être critiqué pour la moindre dépense, on devient plus catholique que le pape.

Si on accepte le fait que le premier ministre et sa famille doivent voyager dans un appareil du gouvernement, on devrait accepter la note aussi. À moins qu’on passe une loi interdisant au premier ministre de prendre des vacances avec ses enfants.

Aux États-Unis, le groupe Judicial Watch estime que les voyages personnels du président Obama ont coûté 70 millions US depuis sept ans.

Les vacances de la famille Trudeau à Saint-Kitts-et-Nevis posent plutôt, à mon avis, des questions éthiques quant au choix de la destination. Selon mes recherches, la petite fédération composée de deux îles dans les Petites Antilles a toutes les caractéristiques d’un paradis fiscal aux apparences de république de banane.

Le petit pays de 53 000 habitants, indépendant depuis 1993 et membre du Commonwealth, est sur la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne. Les spécialistes de l’évasion fiscale et les groupes de pression qui luttent contre les paradis fiscaux mettent aussi le nom de Saint-Kitts-et-Nevis parmi les régimes aux politiques fiscales douteuses.

Le petit pays est décrit comme une aubaine pour les entreprises offshore à la recherche d’un régime fiscal ultra-complaisant. On y dénombre d’ailleurs 34 000 entreprises offshore (pour une population de 53 000 habitants), attirées sans doute par une taxation nulle et moult avantages à la clé. Il suffit, par exemple, d’investir 250 000 $ (US) à Saint-Kitts-et-Nevis pour obtenir la citoyenneté à vie pour toute sa famille. C’est écrit en toutes lettres sur le site officiel du gouvernement, qui vante abondamment les avantages du passeport kittilien et névicien. On se croirait presque sur Kijiji !

Le premier ministre de Saint-Kitts-et-Nevis, honoré de la présence de son homologue canadien, l’a rencontré officiellement et l’a même raccompagné jusqu’à son avion pour lui dire au revoir. Timothy Harris en a profité, a-t-il dit à la presse locale, pour demander à M. Trudeau de mettre fin à l’exigence de visa pour ses concitoyens visitant le Canada. Justin Trudeau n’a pas pris d’engagement en ce sens, mais il a promis de revenir dans ce petit paradis des Antilles.

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