Thomas King  L’Indien malcommode

Oublions Colomb

Cet essai, aussi tragique que drôle, qu’est L’Indien malcommode – Une histoire insolite des Autochtones d’Amérique du Nord vient de remporter deux prix prestigieux au moment où la traduction en français arrive en librairie. Et on vous garantit que vous ne verrez plus l’histoire de l’Amérique de la même façon après avoir lu Thomas King, qui en propose une relecture par l’autre bout de la lorgnette des explorateurs.

Le Globe and Mail l’a décrit comme le « Mark Twain des écrivains autochtones ». À 70 ans, Thomas King, dont les origines sont à la fois cherokee et grecque, a consacré sa vie à la défense des droits des Indiens, en plus d’enseigner la littérature autochtone dans les universités canadiennes et américaines. Il est l’auteur des romans Medicine RiverMonroe Swimmer est de retour et du recueil de nouvelles Une brève histoire des Indiens au Canada  (ce dernier est traduit en même temps que son essai chez Boréal).

Mais il a mis des années à écrire L’Indien malcommode, un livre complètement libre sur l’histoire des autochtones d’Amérique du Nord, truffé d’anecdotes, de faits largement méconnus, d’horreurs et d’humour. Son travail plutôt subversif vient d’être récompensé coup sur coup par le B.C. National Award for Canadian Non-Fiction et le RBC Taylor Prize, et son auteur, que nous avons joint par téléphone, est le premier surpris par ces honneurs.

Oui, de l’humour. Ça ne va pas souvent de pair avec l’histoire malheureuse des Indiens qui, généralement, embête, indiffère ou choque les Blancs. Le lecteur hésite entre la colère et le rire en lisant ce malcommode qui remet quelques mythes et supposées vérités en contexte. On se demande comment l’auteur lui-même a trouvé matière à rire dans cette compilation hallucinante d’injustices.

QU'EST-CE QU'UN INDIEN ?

« Vous savez, l’humour rend la tragédie encore plus profonde, plus tranchante. Les deux ne se combattent pas si vous les utilisez bien. C’était important pour moi de donner au lecteur des endroits pour respirer, tout le monde en a besoin en lisant une mauvaise chose après l’autre… »

Ce que Thomas King tient à nous rappeler avant de plonger dans son livre se lit comme suit : « Nous sommes nombreux à penser que l’histoire, c’est le passé. Faux. L’histoire, ce sont les histoires que nous nous racontons sur le passé. Et c’est tout. » Il ne se gêne pas pour nous dire à quel point nous préférons nous attacher à des mensonges bien racontés qu’à des faits complexes et moins glorieux…

Pour Thomas King, ce n’est pas que les gens n’aiment pas les Indiens mais plutôt l’idée qu’ils se font d’eux. « Ils ont une notion de ce qu’est un Indien qui n’a rien à voir avec ceux qui vivent maintenant. Des images qui viennent du cinéma, de la télévision, de la littérature. »

Oui, nous avons tous vu Ils dansent avec les loups… « Les Indiens ont changé depuis 400 ou 500 ans, ajoute l’écrivain, ennuyé d’avoir à dire une telle évidence. Une culture qui reste la même est une culture morte, comme les gens qui restent les mêmes sont des gens morts. On se fait dire “ah, mais vous n’êtes pas d’authentiques Indiens” parce qu’on ne fait pas la même chose que nos ancêtres. Faites-vous la même chose que vos ancêtres ? »

L’INDIEN IDÉAL

Dans un chapitre hilarant, l’auteur se moque de cet Indien idéal dans les esprits, celui qui fait vendre des produits naturels issus de la sagesse « autochtone » ou des séances de sudation dans des tipis pour bobos en manque de spiritualité. Cet Indien bien implanté dans les fantasmes est un Indien mort, finalement, qui jette de l’ombre sur l’Indien vivant d’aujourd’hui, décevant pour les rêveurs, et sur ce qu’il nomme l’Indien « légal », fiché par les gouvernements, sujet à toutes les critiques et vraiment embêtant quand vient le temps de construire un barrage ou une mine.

Pour Thomas King, tout le problème autochtone réside dans la possession des territoires. Ce sera toujours le cheval de bataille. Alors comment voit-il l’avenir ? « Je retiens mon souffle, répond-il. Je ne suis pas content du présent comme je le voudrais, je ne sais pas ce qui va arriver dans le futur. Mais je sais que nous allons continuer de nous battre pour notre intégrité, nos terres et nos nations. Je ne sais pas. Je n’aime pas faire des prédictions. »

Force est de constater que Thomas King ne perd pas son temps en réécrivant le passé, quand on sait qu’il est garant de l’avenir…

L’Indien malcommode – une histoire insolite des Autochtones d’Amérique du Nord

Thomas King

Boréal
304 pages

Thomas King  L’Indien malcommode

EXTRAIT

« Après Fort Mims, l’hécatombe d’Almo serait la deuxième en importance parmi les massacres de Blancs commis par des Indiens. Trois cents colons dans un convoi de chariots. Deux cent quatre-vingt-quinze tués. Cinq survivants seulement. Voilà une belle histoire. Le seul problème : c’est une pure invention. On se dit que quelque chose a bien dû se passer à Almo pour qu’on en parle encore : je ne sais pas, moi, une tuerie de moindre envergure ou quelque affrontement mortel dont on aurait plus tard tiré une épopée douloureuse. Non, monsieur. Non, madame. Le fait est que quelqu’un a imaginé cette histoire, qu’il l’a racontée à quelqu’un d’autre, et que dans le temps de le dire, le massacre d’Almo est devenu un événement historique. (…) Même après que l’histoire du massacre fut discréditée, la ville refusa de retirer la plaque, défendant le mensonge parce qu’il faisait partie de la culture et de l’histoire de la région. »

CRITIQUE

UNE BRÈVE HISTOIRE
DES INDIENS AU CANADA

Il pleut des Indiens

Une brève
histoire
des Indiens
au Canada

Thomas King

Traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné

Nouvelles, Boréal
287 pages

4 étoiles

Ce n’est pas un essai, malgré le titre qui pourrait
faire penser le contraire, mais on retrouve la même originalité chez Thomas King l’essayiste que chez Thomas King l’écrivain. Peut-être même plus.
C’est un maître de l’image forte, qui reste en tête longtemps. Par exemple, cette première nouvelle dans laquelle des volées d’Indiens se fracassent contre les fenêtres des gratte-ciel – fabuleux spectacle pour les touristes –, ou, dans « Les anges dans nos campagnes », cet homme qui fait une collection d’Indiens comme des animaux domestiques et qui
se heurte à un grave problème lorsque l’une de ses possessions tombe enceinte, ou encore un bébé blanc qui deviendra le premier prix du bingo de la réserve… Autant de fables cinglantes et étonnantes qui vous feront découvrir un nouvel écrivain, si ce n’est
déjà fait. — Chantal Guy, La Presse

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