Opinion : Aide médicale à mourir

Sans attendre les ravages de l’alzheimer

D’abord, élargir la loi 2 sur l’AMM 

Les Québécois souffrants qui ont réussi à remplir les conditions imposées par la loi 2 peuvent maintenant recevoir l’aide médicale à mourir (AMM). Pour avoir pratiqué 68 cas d’AMM à domicile, je témoigne de la grandeur, de la sérénité et de l’intense émotion de cette cérémonie qui marque à jamais les proches qui l’ont vécue. 

Mais il y a les autres, trop nombreux, dont le restant de vie biologique est imprécis alors que leur vie humaine est un enfer qu’on ne permet pas aux animaux. Ils sont bloqués dans leur décision libre par certaines exigences inacceptables de cette loi car « ils ne sont pas en fin de vie » (quelle sinistre ironie !). Il leur reste alors la Suisse, ou se laisser mourir de faim, ou se tirer une balle dans la tête (s’ils en ont la force et le courage), ou attendre dans leurs souffrances atroces que Dieu vienne les chercher. 

Cette exigence de fin de vie, contraire à la Charte des droits, était destinée, au départ, à calmer la peur de la « pente glissante » chez nos bien-pensants, et à prévenir des abus appréhendés.

Depuis trois ans, 1500 aides médicales à mourir ont été données par une poignée de médecins volontaires sans aucun dérapage ; les seules pentes glissantes au Québec sont celles de nos centres de ski. 

N’est-il pas temps de réécrire la loi ? Est-il acceptable que deux citoyens, parmi les plus souffrants, les plus fragiles et les moins menaçants qui soient, soient obligés de se transformer, au soir de leur vie de misère, en bêtes de cirque juridique pour faire entendre raison à ces politiciens qui ont eu la lâcheté de faire passer leurs états d’âme personnels au-dessus des désirs de la majorité de leurs électeurs lors du vote de la loi ? Alors qu’il suffirait de copier-coller dans cette loi et dans la loi C14 fédérale le jugement Carter de la Cour suprême. 

Puis, élargir la loi 2 sur les directives médicales anticipées 

Le problème, immense et croissant à en donner le vertige, c’est l’alzheimer. La démence qui dépossède inexorablement la personne de sa personnalité, et transforme la maman, le conjoint ou la fille en un mort-vivant, un trou noir sans communication dont personne, même expert et grand spécialiste, n’a la moindre idée. En 2018, 30 % des personnes âgées de 85 ans et plus sont atteintes de démence (et 85 ans, c’est devenu l’âge moyen). Au Canada, ce sont 80 000 nouveaux cas qui s’ajoutent chaque année. 

Lorsque le spectre de l’alzheimer se pointe, on est encore lucide. On sait, et notre famille sait, le chemin de croix qui nous attend et dont la dernière station est le CHSLD.

Il devrait être alors permis de s’assurer, avant qu’il soit trop tard, de partir humainement lorsque la démence nous aura complètement murés, en inscrivant ce choix dans les Directives médicales anticipées (DMA).

Les DMA, c’est l’expression du refus de tout un tas de procédures destinées à nous prolonger (intubation, hydratation, etc.) quand la démence sera totale. Pourquoi ne pas y inclure l’AMM ? 

Mais comment savoir si la démence est totale et irréversible ? Comment savoir ce qui se passe dans le cerveau de ce fantôme de la personne qu’elle a été ? La science et la médecine n’en savent rien, elles cherchent, et ça va prendre un bon bout de temps avant qu’elles trouvent. Dans l’intervalle, on se tourne vers les avocats, les politiciens, les éthiciens, les philosophes et les religions pour statuer sur ce que pense et ressent cette personne, sur l’interprétation de ses réflexes, ses sourires ou ses pleurs, à l’aveuglette. 

Un référendum 

Il s’agit ici de gérer un profond, complexe et délicat changement social où l’émotion, la culture, la religion et les valeurs sont intimement sollicitées. Il est temps de se tourner vers les seuls vraiment concernés : la personne démente elle-même, sa famille et les intervenants qui les accompagnent tous les jours. Si, au lieu d’élaborer des stratégies de comités d’experts, de sondages biaisés, de jeux politiques et juridiques, on faisait alors appel à l’outil démocratique du référendum ? 

Un référendum exige une ou plusieurs questions claires : 

1) Le critère de « fin de vie » doit être retiré de la loi 2, et celui de « mort raisonnablement prévisible » de C14. 

[ ] oui [ ] non 

2) L’aide médicale à mourir doit pouvoir être demandée dans le cadre des directives médicales anticipées.

[ ] oui [ ] non 

3) Aux fins de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, l’état de démence irréversible d’une personne est reconnu lorsqu’elle n’est plus capable de nommer son nom ou de reconnaître son conjoint ou ses enfants quand deux personnes indépendantes le lui ont demandé quotidiennement et pendant 15 jours.

[ ] oui [ ] non. 

J’en ajouterais une quatrième : 

4) Je connais ou j’ai connu un proche atteint de démence. 

[ ] oui [ ] non 

Personnellement, je suis prêt à voter.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.