Chronique

Touche pas à mon pote

Doit-on boycotter les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi à cause de la nouvelle politique homophobe russe, qui interdit aux gais de faire la « promotion de l’homosexualité » ?

Doit-on dire aux athlètes qui s’entraînent depuis des années qu’ils ne pourront pas aller à ce rendez-vous sportif crucial par geste de solidarité envers les gais, ces victimes de discrimination, de harcèlement, de violence directe, à trop d’endroits sur la planète ?

Si la Russie avait mis en place une telle politique à l’endroit des Noirs, qu’aurait-on dit ?

Peut-on comparer la cause des gais à celle des Noirs ?

J’avoue que je ne sais que répondre à ces questions. D’un côté, je me dis que si la Russie avait dit aux Blacks : « Vous avez le droit d’exister, mais pas de parler des inégalités dont vous êtes victimes », il est clair que nous serions tous en train de dénoncer et de boycotter activement ces jeux.

En revanche, je me demande si un boycottage de ces grandes compétitions internationales, avec tout ce que cela entraîne d’efforts, de temps, d’argent jetés à la poubelle, est vraiment la solution capable de faire bouger ce pays aux prises avec un mouvement de conservatisme alarmant. La Russie semble ne vouloir écouter personne. Et si un boycottage devenait plus polarisant qu’efficace, braquant ses dirigeants et ses bigots contre le reste du monde, aurait-on réellement avancé ?

Doit-on boycotter les Jeux ? Je n’arrive pas à dire oui ou non. Mais une chose est claire. Le Canada, quoi qu’en pensent les marginaux à la Gwendolyn Landolt – figure de proue d’un groupe socialement si conservateur qu’il en est caricatural, les REAL Women, qui clame qu’il ne faut pas dénoncer l’homophobie russe –, peu importe, donc, ce qu’en pensent ces mesquins innommables, ne doit pas se taire.

Le Canada doit continuer de dire haut et fort qu’il ne tolère pas l’homophobie où qu’elle soit, où qu’elle se cache. Ce principe est inscrit dans notre Charte des droits et libertés. La discrimination envers des êtres humains en raison de leur orientation sexuelle fait partie des choses que nous rejetons, dont nous refusons d’être complices et même témoins.

Doit-on boycotter les Jeux ?

Si on décide que non, alors pourquoi ne partirions-nous pas en Russie avec des équipes pour protéger nos athlètes, pour protéger tous les athlètes contre la violence dont ils pourraient être victimes et dont parle ma collègue Isabelle Hachey dans son reportage ? Partons défendre leurs droits, partons nous assurer qu’ils ont accès aux mêmes portes d’entrée que tous les autres athlètes, partons dire qu’il faut absolument qu’ils puissent, comme tous les hétéros, parler de ce qu’ils sont sans avoir peur d’être accusés de propagande, concept d’une absurdité délirante.

Lorsque, en 1967, les organisateurs du célèbre marathon de Boston ont vu que, ô ciel, une femme, Kathrine Switzer, s’était faufilée parmi les coureurs avec un dossard, ils ont tenté de la stopper manu militari. C’est alors que son amoureux, videur de métier, s’est interposé, la protégeant physiquement contre ceux qui voulaient l’arrêter. Ma blonde, leur a-t-il fait comprendre, va finir la course, que ça vous plaise ou non. Et elle a ainsi pu terminer les 42 kilomètres.

C’est cette attitude que nous devons tous adopter pour protéger nos amis, nos sœurs, nos frères, nos voisins, nos collègues, nos parents, tous ceux qui, autour de nous, pourraient être victimes de discrimination, car ils aiment différemment.

Nous devons nous interposer. Agir.

Si on décide de ne pas boycotter les Jeux, alors qu’on aide et appuie tous ceux qui voudront profiter de l’événement pour signifier sans détour aux opposants à l’égalité, dirigeants russes et compagnie, en commençant par le président Vladimir Poutine, que les gais et lesbiennes, bisexuels et transgenres sont des humains comme les autres et ne peuvent donc qu’avoir exactement les mêmes droits, dont celui de manifester politiquement, pacifiquement, pour les motifs qu’ils jugent légitimes. Que ce soit donc pour exprimer leur fierté d’être différents. Ou pour réclamer des changements sociaux, politiques.

Faisons des Pussy Riot de nous. Hurlons.

////

Je ne sais pas si on doit ou non boycotter les Jeux de Sotchi, l’hiver prochain. Je comprends les athlètes qui rêvent de cet événement depuis des années de pleurer à la simple idée qu’on puisse leur bloquer l’accès aux compétitions. Je comprends l’absurdité de jeter à la poubelle des années et des années d’entraînement avec le risque que cela ne permette pas de changer grand-chose.

Mais ce que je sais, c’est que l’homophobie dont fait preuve le gouvernement russe n’est pas acceptable. Que le ministre des Affaires extérieures John Baird fait très bien de la dénoncer. Qu’il devrait même hausser le ton. Ce que je sais, c’est que c’est une question de droits de la personne fondamentaux, ce qui nous autorise à nous mêler de ce qui peut sembler ne pas nous concerner, puisque ça ne se passe pas dans notre cour, mais qui en fait nous regarde tous. Car l’homophobie ne fait pas de mal qu’aux gais russes. Elle fait mal à tout le monde, en commençant par nos amis, nos collègues, notre famille, nos proches, tout juste ici, là, à côté de nous.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.